Il est très sollicité ce lundi matin. Après avoir répondu à une dizaine d’appels téléphoniques, réuni la vingtaine de branches qui vont défiler, drapeau au poing, ce 3 novembre, Salim Nahouda nous accorde une interview sur les motifs et le déroulé de la grève générale du jour.
Et à peine assis, alors que nous l’interrogeons sur le droit syndical, le premier motif d’un mouvement qui fédère toutes les injustices, le secrétaire départemental de la CGT Ma part bille en tête sur son dada, les patrons : « il y a deux sortes de patronat à Mayotte. La plus influente entretient une certaine proximité, lors de soirées, avec les services de l’Etat. Ce qui a permis à la Colas d’exercer des pressions sur la Dieccte depuis Paris pour licencier ses délégués syndicaux. » Si le sort a été différent pour les deux délégués SOMACO épargnés, « pourtant accusés aussi de blocage d’accès à l’entreprise » c’est autant « une prise de conscience de la situation mahoraise », que l’évocation du spectre d’une grève générale, selon lui.
Deux secteurs sont visés par la grève de ce mardi 3 novembre. Le secteur privé pour lequel l’intersyndicale CGT-CFDT-FAEN-FO-Solidaires-FSU, demande l’application immédiate des conventions collective et le code du travail national, le droit à la solidarité nationale pour les retraites de base et complémentaires, les prestations sociales. Et le secteur public, avec une reconstitution de carrière pour les ex-agents de la collectivité départementale (CDM), une indexation des salaires à 53% et l’attractivité du territoire.
« Stop à la production de documents ! »
Comment Salim Nahouda justifie-t-il ces revendications ? Il rappelle tout d’abord l’implication de l’Etat, « qui signait jusqu’en 2004 les arrêtés de recrutement des fonctionnaires de la Collectivité. Il devrait donc reprendre la totalité de leurs années de service comme dans les autres départements. » Ce n’est pas le cas, et outre les montants ridicules des pensions à Mayotte, les fonctionnaires ex-CDM, ces « oubliés de la République », partent à la retraite pratiquement au même barème qu’une jeune recrue.
Pour que l’information soit complète, le syndicaliste évoque d’une part la loi de mars 2012 sur la résorption de la précarité dans la fonction publique, « sous condition d’une ancienneté de quatre ans », dont Mayotte est exclue, et l’avancée à l’ARS et la DEAL, « deux services de l’Etat qui ont pu bénéficier d’une prise en charge des ? de leurs années d’ancienneté. »
L’application du code du travail est demandée depuis plusieurs mois maintenant. C’est même une des raisons d’exister du document Mayotte 2025. « Stop à la production de documents ! », réagit Salim Nahouda, « les Etats généraux de l’outre-mer en 2009, la Conférence sociale en 2012 et Mayotte 2025 cette année. On veut des actes ! »
Et toujours la vie chère
Et il y a encore un long chemin : « Seuls 22% du code du travail s’appliquent à Mayotte selon la Dieccte Paris ». Les autres DOM ont quand même attendus 60 ans avant un rattrapage pas tout à fait intégral. Un argument que Salim Nahouda détourne : « Mayotte aussi a attendu plus de 70 ans. Si nous n’avons pas été département en 1946, c’est un choix imposé par le pouvoir parisien ».
Sur le sujet controversé de l’indexation, Salim Nahouda reste ferme : « ce ne sont pas les salaires élevés qui ‘tirent les prix vers le haut’, mais des profiteurs aux marges exorbitantes, déjà contestées lors de la grève de 2011. » Et il le prouve par les yaourts : « un pack de 4 Activia vendu 1,65€ en métropole, va l’être 2,95€ à La Réunion et 7,25 € à Mayotte. Quel fret aérien entre nos deux îles justifie ces presque 5 euros d’écart ?! »
Un parcours de manif traditionnel
Il voit plutôt l’indexation comme une relance de l’économie par le secteur privé, « par la dépense individuelle ». Conscient malgré tout que cette surrémunération grève les budgets communaux et départementaux, il estime qu’un supplément de dotation globale de l’Etat très inférieure à Mayotte sur les autres DOM, peut y pallier.
Des revendications assez vastes pour mobiliser une vingtaine de branches, représentées ce lundi matin pour les derniers préparatifs : « rassemblement sur la place de la République, où nous échangerons jusqu’à 10h, puis départ vers la mairie de Mamoudzou côté mer, montée vers le commissariat en passant devant le conseil départemental, Jacaranda, et retour place de la République. » Pas de sit-in devant les grilles de la préfecture, mais un sacro-saint retour de la délégation qui y sera reçue, « que nous transmettrons ensuite aux manifestants. »
Ce qu’ils attendent, c’est l’ouverture de négociations avec l’Etat « que leurs experts se prononcent en argumentant, sur les spécificités et les progressivités de Mayotte, pour adapter toutes les mesures de droit commun. »
Un mouvement hyper cadré, tel qu’il annonce : « chaque organisation syndicale aura son équipe de sécurité, la CGT par exemple aura des brassards jaunes. Si des éléments extérieurs perturbateurs s’immiscent, nous avertirons les forces de l’ordre. »
Reconductible “en fonction de la mobilisation et des réponses de l’Etat”.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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