CARNET DE JUSTICE– D’habitude, la salle d’audience est vide pour ce genre d’affaires, à peine un avocat et quelques prévenus. Mais ce mercredi, 40 bouénis (habitantes) avaient fait le déplacement depuis Chiconi : il s’agissait de venir apporter leur soutien à Zalifa Assani, qui devait être jugée pour avoir empêché Marceline Ramanoelina d’exercer son activité commerciale de douka dans la commune. Il s’agissait d’une manifestation en septembre dernier contre la vente d’alcool, en raison des abus et de ses dégâts sur la jeunesse. L’affaire est renvoyée au 13 avril 2016 en raison de l’absence de la plaignante, représentée par Me Kamardine, mais que le procureur souhaite entendre.
On ne saura pas pourquoi sur les centaines de brochettis de l’île, c’est tombé sur lui. Sans doute parce qu’il a pignon sur quai Issoufali, mais le brochetti de A.M.O et M.M., mère et fils, a été contrôlé par la Dieccte en janvier dernier. Trois salariés, qui font cuire la viande et pèlent les bananes, ne sont pas déclarés et n’ont pas de titre de séjour.
Des liens tortueux
La mère a un argument, « ce sont des clients », qui préparent donc leur repas, quant au fils, « ce sont mes frères et sœurs ! ». La juge n’a pas l’air trop d’accord sur ce double statut de clients familiaux, et s’énerve : « Ne commencez pas à raconter n’importe quoi à l’audience ! » Vu la tournure que prend l’échange, le fils déclare que, oui finalement, il prendrait bien un avocat… « Pas en pleine audience ! », recadre la présidente.
Pour le procureur Joël Garrigue, il s’agira de défendre tout au long de la matinée, la distorsion de concurrence, « par rapport à tous ceux qui proposent des repas en toute légalité ». Il se basera sur les 175 euros de recettes estimées par demi-journée, pour demander 5.000 euros d’amende dont 2.000 euros avec sursis. Il sera entendu au centime prés par la collégialité qui condamnera chacun d’entre eux à payer cette somme. Toujours avec la possibilité de la réduire de 20% si elle est acquittée dans le mois.
Avec un panneau taxi sur le toit de sa Laguna, M.A. assurait le transport de ses clients sur le nord de Mamoudzou, sans licence. C’est un arrêt intempestif en pleine circulation pour embarquer des clients, qui l’amène à être contrôlé par la police au rond point du Ct Passot, à la barge. Au procureur qui l’incite à respecter les règles, sans quoi sa voiture allait lui être confisqué, il répond qu’il a été débouté sur une première demande de licence. Il sera condamné à 3 mois de prison avec sursis et 1.500 euros d’amende.
Quant à S.S. difficile de savoir exactement quel est son corps de métier, transporteur, maçonnerie… En tout cas, il se blesse sur un chantier non déclaré, et fait alors appel à un copain pour l’épauler. « Mayotte serait donc l’endroit où on peut construire sa maison sans permis, sans être déclaré, et en recrutant quelqu’un qui n’a pas de papier ! Il ne faut pas chercher plus loin pourquoi tant de PME qui sont en règle peinent à obtenir des marchés avec cette concurrence déloyale ! »
Ayant déjà été condamné en 2010, c’est à de la prison avec sursis qu’il a droit cette fois avec une amende de 3.000 euros. La peine qu’avait demandée le procureur, mais que le prévenu avait tenté d’amenuiser, « j’ai 13 enfants, je ne pourrai pas payer. »
C’est donc l’économie informelle qui est touchée par cette matinée d’audience. Des décisions qui ont pour conséquences de priver des individus de leurs ressources, et risquant de les inciter à s’en procurer par des moyens encore moins glorieux, mais qui ont pour vertu de réduire l’attractivité de Mayotte qui, dans ce domaine hélas, ne faiblit pas.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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