Outre le délit de conduite en ayant dépassé de deux fois et demi le taux d’alcool autorisé, le député s’était emporté et avait menacé les policiers venus l’arrêter. Des faits soulignés par le président d’audience correctionnelle qui a demandé des garanties pour éviter toute récidive.
“Votre client est là ?”, s’enquiert le procureur dès la porte du tribunal correctionnel. Oui, il arrive, le député Boinali Saïd Toumbou, penaud à la barre quand le président revient sur les faits.
Le 16 décembre dernier, peu après minuit, une patrouille de la Police aux Frontières (PAF) est appelée au niveau de Passamainty: un 4×4 est arrêté au milieu de la chaussée, feux de détresse allumés. C’est un véhicule qui entreprend de le dépasser qui informe la police, “le conducteur lui semblait inconscient.” Lors de leur arrivée, les policiers constatent que le conducteur n’obtempère pas à leurs injonctions et démarre sa voiture, avant de la stopper.
Les policiers remarquent rapidement une forte odeur d’alcool et de vomi, “la chemise tachée, la cravate de travers”. Cette cravate, c’est celle du député Boinali Saïd, un conducteur qui tient des propos incohérents. Des jeunes indiquent que la voiture a auparavant emprunté la RN2 à contresens.
“Tu ne sais pas qui je suis!”
Sur le chemin du commissariat, le député se fera menaçant: “Vous êtes très intelligents, mais demain vous devrez vous expliquer devant moi”, et à un officier de police judiciare, “Tu ne sais pas qui je suis!”, avant de réitérer les mêmes propos dans la salle d’attente du CHM avant la prise de sang qui révèlera 2,09 g d’alcool par litre de sang.
A la barre, Boinali Saïd Toumbou, se fait tout petit: “Je voudrais m’excuser pour les propos désobligeant que j’ai tenus alors que j’ai un devoir d’exemplarité de par ma fonction.” I ne peut en dire plus, si s’expliquer sur la raison de ses propos, hormis la quantité de bière qu’il avait bue la veille dans deux restaurants, rue du Baobab, puis à Kawéni.
Il n’a jamais été condamné, mais un fait récent, remontant au 24 octobre 2015, de conduite en état d’ivresse manifeste, a incité le,procureur Joël Garrigue à joindre au dossier une ordonnance pénale, qui pèsera dans la condamnation. Surtout que son immunité parlementaire est rendue inopérante par la circonstance de flagrant délit.
Boinali craque
Pour le procureur, l’homme à la barre est à la fois un prévenu comme tous les autres dans la salle d’audience ce mardi, jugés aussi pour conduite sous l’empire d’un état alcoolique, mais également un élu national, “garant par ses fonctions électives d’un devoir d’exemplarité”. Il ne veut pas entendre les excuses, “qu’on enregistre à longueur d’année à la barre”, et demande des garanties.
Il requiert 3 mois de prison avec sursis, 18 mois de mise à l’épreuve avec obligation de soin, interdiction de se rendre dans un débit de boisson, un retrait de permis et 1.000 euros d’amende. Mais prévient surtout d’une voix forte: “la première fois, le tribunal avertit, la deuxième demande des soins, mais la troisième, incarcère.”
Pour Nadjim Ahamada, l’avocat, et bâtonnier, qui se dit “fier de défendre le député Boinali Saïd”, le plus dur a été fait. “La comparution de mon client pour des excuses à 8h du matin quand la salle est pleine, et non à 11h quand elle s’est vidée, est sa meilleure défense.” Stratégiquement parlant, il n’y avait en effet pas mieux pour contrer les propos arrogants tenus sous l’emprise de l’alcool, et il n’avait plus qu’à pointer la sanction populaire, “il a été victime de lynchage sur les réseaux sociaux et dans les médias, sa famille l’a vu dans des situations indescriptibles, il en souffre.”
Deux mois avec sursis
De fait, c’est un député en larmes qui revient de nouveau à la barre pour remercier son avocat.
Comme le procureur, le juge pointera à la fois l’uniformité des peines entre les justiciables mahorais, et, l’individualisation de la peine, “adaptée au prévenu”. Il condamnera le député à deux mois de prison avec sursis, avec mise à l’épreuve pendant 18 mois: “Vous serez suivi par un conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation, pour assurer votre obligation de soins auprès d’un médecin addictologue, avec interdiction de fréquenter des débits de boisson sur la période”. Une peine qu’il devra suivre s’il veut voir sa condamnation gommée, et s’il ne veut pas se retrouver face au Juge d’application des peines.
Il devra également s’acquitter d’une amende de 1.000 euros, et se voit suspendre son permis de conduire pendant 12 mois, “je ne demande pas de retrait, car vous n’êtes pas en récidive légale.” De peu…
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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