C’est la 1ère fois que le big boss de cette obédience vient à Mayotte. Pour clarifier le vocabulaire, une obédience maçonnique est un regroupement de loges. A Mayotte, outre la GLNF, sont présentes le Grand Orient de France (mixte), la Grande Loge de France et le Droit Humain (mixte).
Jean-Pierre Servel voulait rencontrer ses frères de nos contrées lointaine, mais pas seulement : « Nous installons demain Jacques Stengel comme Grand maître provincial pour 3 ans, et nous consacrons une nouvelle loge à Mayotte, d’un rite différent. » La 3ème de cette obédience ici.
La Grande Loge nationale de France, c’est 27.000 frères en France, 6 rites différents et environ 1.200 loges. Sur la région, ils sont 535 à s’appeler frères entre eux, dont 53 à Mayotte. « Ici, c’est une plaque tournante de métropolitains qui ne restent pas longtemps, et à la fois, de malgaches. Il faudrait accueillir des locaux », indique Jacques Stengel. C’est déjà le cas d’ailleurs.
Les religions « et leurs dogmes »
La GLNF fait partie des loges régulières du monde, pour avoir été reconnue par la Grande Loge unie d’Angleterre lors de sa création en 1913. Sa particularité est de ne compter que des croyants, « on prête serment sur le Livre », d’une des trois religions monothéistes, ainsi que de la philosophie bouddhiste. « Mais nous restons loin des dogmes que les religions apportent à leurs fidèles. » Musulmans, chrétiens et juifs se retrouvent donc au sein de la même obédience. Enfin, ses frères ne discutent pas de politique ou de religion en loge.
Bien qu’il insiste sur « les liens cordiaux » que les obédiences entretiennent entre elles, ces nuances font beaucoup pour Jean-Pierre Servel : « L’objectif du Grand Orient de France est d’améliorer la société par l’intermédiaire de ses représentants. Alors que nous nous attachons à rendre les gens meilleurs pour qu’ils rayonnent dans le monde et le rendent meilleur. »
Si la GLNF vous intéresse, vous pouvez faire acte de candidature sur leur site, ou vous faire parrainer, « coopter », c’est mieux : « Nous ne sommes pas élitistes, beaucoup des nôtres sont des travailleurs manuels. Mais nous exigeons une certaine honnêteté intellectuelle et une aptitude à faire le bien. » Vous ferez donc l’objet d’une enquête. Car dans ce qu’il appelle le monde « profane », c’est à dire vous (enfin pas tous) et moi, « la solidarité entre francs-maçons peut faire naître des espérances douteuses. »
Réseaux et secrets
En effet, et c’est bien ce qui dessert l’image de la maison, l’évocation de « réseaux qui gouvernent le monde » suffit même souvent à définir la franc maçonnerie chez les « profanes ». Pour Jean-Pierre Servel, ce système de réseaux existe dans toutes les sociétés, « dans tous les groupes humains », et « procède le plus souvent d’une solidarité qui se fait sur l’honneur chez nous. »
Il ne prétend pas que l’utilisation de la franc maçonnerie à des fins personnelles, c’est « chez les autres », mais affirme vouloir balayer devant sa porte : « Personne n’est infaillible, il y a des erreurs de casting, et nous avons des procédures disciplinaires pouvant aller jusqu’à l’exclusion. Il y a 5 ans, la GLNF a connu une crise, un Grand Maître était sorti de la règle sur le plan politique, ce qui nous a fait perdre beaucoup d’adhérents. Quand on est déçu de la franc-maçonnerie, c’est par les hommes. »
Ce qui rend l’affaire nébuleuse, c’est le secret qui l’entoure. Là aussi, le Grand Maître a une explication : « Nous ne pouvons pas dévoiler l’appartenance de nos frères à une loge, mais je les encourage fortement à le faire de manière individuelle. Cette habitude vient des dénonciations pendant la 2ème guerre mondiale qui a vu beaucoup de francs-maçons déportés. Ce qui n’est pas le cas aux Etats-Unis où les frères s’affichent ouvertement. »
Toujours sans ma femme
Ce que confirme le membre d’une autre obédience, qui évoque l’héritage de l’histoire et de la persécution par la Wehrmacht, « notamment à Bordeaux. Il faut respecter le secret de ceux qui ont vu leurs frères perdre la vie parce que leur appartenance à la franc-maçonnerie avait été dévoilée. »
Un deuxième secret est consultable dans n’importe quel ouvrage selon le Grand-Maître, celui qui relève du rite initiatique, « à chaque degré, nous dévoilons les secrets des bâtisseurs », alors que le dernier secret, « inviolable celui-là », concerne celui de l’initiation, celui qui se découvre et s’apprend au fur et à mesure des années. Des secrets mal perçus selon lui dans l’opinion publique.
Alors devant tant de richesses annoncées, pourquoi exclure les femmes ? « C’est vrai que nous nous privons de la moitié de l’humanité la plus douée d’intuition. Cela vient peut-être de notre côté anglican dont les clubs sont composés d’hommes », dit-il sans évoquer d’ouverture éventuelle, « nous pensons que ça nous détournerait de nos travaux. » A peu prés le même argument avancé par nos amis musulmans pour justifier la fréquentation masculine des mosquées… Il n’y a plus qu’à espérer que dans des lieux comme le conseil des ministres, la présence des femmes ne perturbe pas les prises de décisions. Il existe néanmoins une Grande loge féminine de France.
C’est aussi pour rompre la glace et se détacher un peu des autres obédiences que Jean-Pierre Servel a pris la parole ce vendredi devant les médias mahorais. « Surtout que nous ne sommes pas repliés sur nous-mêmes. Nous agissons pour les autres à travers une fondation, qui réfléchit d’ailleurs à des thèmes de travail ici à Mayotte. »
Un exercice de démystification réussi, qui aura quelque peu réhabilité la franc-maçonnerie chez les profanes. En attendant que l’ensemble des obédiences fasse le ménage de leur “erreurs de casting”.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
Comments are closed.