Ce qui surprend lorsqu’on arrive sur la terrasse d’Ambato plage, dans la commune de Mtsangamouji à l’ouest de l’île, c’est l’ambiance studieuse que dégage le groupe de jeunes de 10 à 18 ans, penchés sur leurs livres et cahiers autour d’une grande table. On est pourtant en pleines vacances scolaires.
Une demi-heure plus tard, ils sont tous alignés, la musique démarre, et ils esquissent dans un ensemble parfait les premières figures de breakdance. « Stop ! », s’écrie Mohamed Belarbi, « on reprend ! ». « Momo », comme l’appellent affectueusement les jeunes est à la fois celui qui anime leur formation, mais aussi une référence, leur référence, le fondateur de la troupe Vagabond crew, l’une des trois équipes française et surtout la seule équipe au monde à avoir remporté le “double-double”, Meilleur show chorégraphique et vainqueur du battle au Battle of The Year International 2006 et 2011.
Scolarité, famille et discipline
Il a aussi lancé le concept Vagabond Lab, qui rassemble des jeunes passionnés de hip-hop, pour des camps où travail scolaire et dance se partagent le planning. « Deux heures de suivi scolaire le matin, et parfois 8 heures de breakdance l’après-midi », explique Ahmed Samir, étudiants au CUFR qui assure l’accompagnement scolaire et sort d’une dictée, « nous avons travaillé sur les fautes, et demain, le même texte leur sera proposé en espérant une amélioration. »
Ce labo-centre de formation se veut complet, en travaillant sur trois points : la scolarité, la famille et la discipline, « trois domaines où nous devons leur donner de vraies bases, pour qu’ils s’améliorent de manière durable », explique Abdallah Haribou, président de l’association Hip-Hop Evolution qui porte le concept avec Vagabond Crew. Les jeunes se retrouvent donc à chaque vacance scolaire, avec Mohamed Belarbi, qui va les suivre pendant 3 ans.
Il était intervenu en 2011, un peu dans cet esprit, mais avec les leaders de chaque « crew » (groupe de hip-hop) : « L’ambiance était dure car marquée par des rivalités entre villages, que je ne retrouve pas aujourd’hui. » Les jeunes doivent assurer le nettoyage des sanitaires, des salles, de leurs tentes… et gardent le sourire, « nous venons tous de villages différents, il y a une bonne ambiance », certifient deux jeunes qui passent, le balai à la main.
« Des règles non négociables »
Selon lui, ce sont les valeurs défendues en 2011 au sein du hip-hop qui ont été transmises par les leaders, apaisant les tensions. L’un d’entre eux est d’ailleurs revenu, « c’est le directeur du camp », explique-t-il fièrement. Ces valeurs, ce sont celles de partage, d’union, « et de paix. Dans ce sport, on a besoin de l’autre pour s’exprimer. » Ce sont de belles histoires d’amitiés et de groupes qui se tissent.
Outre qu’il ne déroge pas sur la discipline, « certaines règles ne sont pas négociables, comme la ponctualité », Mohamed Belarbi les met en garde contre toute tentative misérabiliste, « je vis comme eux sous la tente, et je leur répète que mon groupe Vagabond crew, n’arrivait pas à trouver de salle, s’entrainait à Chatelet-les-Halles à 21h quand c’était libre, ce qui ne nous a pas empêché de décrocher des titres. Il ne faut pas se chercher des excuses en permanence », dit-il, bien conscient des conditions d’entrainement des ses ouailles, sans chaussures, parfois, sur un revêtement difficile, « des conditions qui ont beaucoup choqué en métropole, surtout au regard du niveau produit. »
« Les rendre autonomes et responsables »
Déjà en cours en Languedoc-Roussillon, Vagabond Lab est donc implanté à Mayotte, le seul DOM où Mohamed Belarbi posera son sac à chaque vacances scolaires pendant 3 ans. C’est que l’île l’a touché, « les jeunes sont attachants et portent des valeurs qui me parlent. » Ce sont d’ailleurs sur ces valeurs qu’il a sélectionné les 25 jeunes qui bénéficient du Vagabond Lab, « le but c’est de les rendre autonomes et responsables. »
Hip-Hop évolution finance le programme, « mais la préfecture et le conseil départemental sont des partenaires habituels qui vont nous accompagner », assure son président Abdallah Haribou qui a l’habitude des usages locaux en matière de subventions.
Par contre, aucun maire ne vient appuyer ce travail considérable, « ils n’y voient pas de profit immédiat pour leur commune… » Une vision restrictive qui l’agace : « Quand on parle de délinquance, c’est sur l’ensemble du territoire. Et le travail que nous faisons de réconciliations inter-villages est bénéfique à tous. Par exemple, l’un originaire de Petite Terre est devenu formateur et va jusqu’à Sada pour voir les jeunes là-bas. »
Un bon sas d’apprentissage de la vie
Aujourd’hui est un jour spécial : les parents sont invités et les jeunes n’étaient pas au courant. Les parents, enfin, les mamas, puisque les hommes sont aux abonnés absents. L’une d’entre elle, enceinte, nous avoue d’ailleurs élever seul ses 6 enfants, dont 2 sont intégrés à la formation : « Le plus jeune a 10 ans mais il ne m’obéit pas. Je le gronde fort pourtant, mais il sort jusqu’à 1 heure du matin avec de mauvaises fréquentations. » Ahmed Samir n’en revient pas, « c’est pourtant l’un des plus concentrés lors des devoirs. »
Abdallah Haribou se souvient de ce jeune perturbateur que ses parents ne voulaient pas laisser venir danser le hip-hop, « il est devenu bon à l’école, et c’est l’un des meilleurs danseurs de Mayotte. » Le président de Hip Hop Evolution continue à avancer, sur le mode de « qui m’aime me suive. »
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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