Si les victimes du tribunal étaient frappées d’amnésie ce mercredi, chez les magistrats, c’était plutôt Alzheimer. La journée commençait par l’erreur de ne pas avoir d’intégré le juge Banizette à la formation collégiale censée juger l’altercation entre un policier de la PAF et un automobiliste, renvoyant le procès pour la deuxième fois, puis se poursuivait par l’oubli de joindre une expertise toxicologique à un dossier portant quand même sur un homicide involontaire, nécessitant également un renvoi.
Les gendarmes n’avaient heureusement pas oublié d’amener Ali* au tribunal correctionnel. Il est appelé à s’expliquer sur la séquestration d’un automobiliste qui l’avait pris en stop. Plus exactement, il était avec un copain dans un brochetti de Combani ce 2 mars 2014, lorsqu’il fait la connaissance de sa future victime.
Celui-ci accepte de les amener dans sa voiture, l’un s’assied à l’avant, l’autre à l’arrière. Mais lors d’un arrêt pour satisfaire un besoin pressant, ils lui assène un coup de poing, et, sous la menace d’un chombo, l’obligent à s’allonger derrière les deux sièges avant. Ils lui demandent de l’argent, fouillent son sac, dérobent son téléphone et sa carte bancaire, toujours un chombo sous le cou.
Ils s’enregistrent contre leur plain gré
Ils prennent le volant, et vont trainer leur victime sur une piste à l’écart pour lui extorquer ses codes bancaires. Heureusement, elle finit par se dégager, « en plantant ses doigts dans les yeux de son agresseur », et à s’enfuir, pendant que l’autre retire du liquide avec sa carte bancaire. Il se rend au dispensaire de Kahani en prévenant la brigade de gendarmerie. Et dépose plainte pour vol de 600 euros avec violence, et bénéficiera de 3 jours d’ITT, marqué au cou et à l’avant bras par des plaies superficielles.
Le véhicule est retrouvé à la cascade de Soulou, mais les tortionnaires vont se trahir en passant un appel involontaire, qui bascule sur le répondeur « Rentre dedans avant que je ne te fasse mal », « Combien tu as ? », « Je compte jusqu’à 3 », rapporte la juge Sylvie Roy.
La vidéo de la BFC de Combani est exploitée. Lorsqu’il y est confronté plus tard, l’un des deux hommes, Abdou*, se reconnaît.
Identifié par sa cicatrice
C’est un témoin qui va faire le lien. Il se rend à la gendarmerie comme le rapporte la juge : « Un homme y explique que quelqu’un l’a informé que son fils avait fait une c… et qu’il cherchait un kwassa », sous-entendu pour se rendre à Anjouan, se mettre au vert. Ils sont tous les deux en situation irrégulière à Mayotte. D’ailleurs depuis, Abdou est introuvable. Par contre, il reconnaît immédiatement et met en cause son comparse Ali.
Celui-ci continue de nier à la barre, et ne connaît même pas Abdou. Il l’accuse pourtant de lui en vouloir, « parce que je lui avais pris son scoot ». D’autre part, leurs empreintes mêlées avaient été découvertes deux jours plus tôt lors du cambriolage du collège de Tsingoni.
S’il adopte cette attitude, c’est que la victime ne reconnaît pas son tortionnaire, « je me souviens juste qu’il a une cicatrice sur la tempe gauche ». Exactement comme celle d’Ali.
Malgré ses dénégations, les éléments sont concordants pour la procureur, qui se base aussi sur le témoignage de la compagne d’Ali, « elle reconnaît votre voix sur l’enregistrement téléphonique ».
Son casier judiciaire aux multiples condamnations pour vol par les tribunaux pour enfant, puis correctionnel, pour recel de biens, ne plaide pas en sa faveur. « Vous risquez 10 ans d’emprisonnement, la peine maximale du code pénal », assène la procureur Prampart qui regrette que presque deux ans après les faits, Ali ne s’amende pas. Elle demande donc 15 mois de prison ferme, « parce qu’au moins en prison, nous faites plus de victimes. »
Le trio de juge le condamnera à 12 mois ferme avec mandat de dépôt. Il repartait donc en direction de Majicavo, mais aussi pour purger la peine d’un délit précédent.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
* Prénom d’emprunt
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