L’Institut d’Emission des départements d’outre-mer (IEDOM) vient de rendre son rapport annuel sur l’évolution économique et financière de l’île en 2015. Elle répond là à sa mission d’observatoire de l’économie à Mayotte. Nous reviendrons sur ses observations en matière d’activité bancaire et fiduciaire, pour nous pencher en premier lieu sur les freins au développement et les leviers à activer.
On connaît déjà les fondamentaux de notre économie : une faible production locale, qui pèse peu, des exportations inexistantes, un maigre tissu industriel… Le premier commentaire à tirer est que la situation n’évolue pas d’une année à l’autre. Mais aussi, notre économie est bicéphale, « mais de plus en plus portée par la consommation des ménages, et depuis 3 ans, de moins en moins par la commande publique. Un modèle qui n’est pas viable », constate Daoulab Ali Charif, Chargé du suivi économique à l’IEDOM, « il faut absolument relancer la commande publique. »
Et pourtant, les défis du territoire sont énormes et connus : l’assainissement, l’éducation, le développement économique et social… » Et les projets correspondants aussi, inscrits qu’ils sont dans le Contrat de projet Etat-Région (CPER), pour 378 millions d’euros, et dans les programmes opérationnels des Fonds européens, pour 320 millions d’euros. Alors qu’est-ce qui cloche ?
La moitié des objectifs atteints sur le précédent CPER
« Et bien, ils restent virtuels tant qu’ils ne sont pas lancés », lance telle une lapalissade Yves Mayet, directeur de l’IEDOM, qui met là le doigt sur le fond du problème : tant que l’investissement public n’est pas concrétisé, le CPER en étant dépendant à 100%, et les fonds européens, dépendant aux trois-quart, et pour un quart des investissements privés, rien ne se fera.
Ce sont à la fois l’Etat et le Conseil départemental qui sont au banc des accusés : « Le précédent CPER n’a jamais été bouclé sur la période 2008-2014 », rappelle Daoulab Ali Charif. Ce contrat de projet doit être cofinancé par l’Etat et le département. Or, sur la partie Etat, si 93% ont été engagés, 55% ont été réellement consommés. Un peu plus de la moitié des objectifs ! Le département n’en a consommé lui que 40%. Ce qui nécessite de reporter quasiment la moitié de la programmation sur la période suivante.
Trois à six fois moins de réalisations
Et l’on peut être inquiet puisque si le conseil départemental devait apporter 40% de contribution, 60% pour l’Etat, la clef de répartition est sur le nouveau CPER respectivement de 49% et 51%. Une hérésie que nous avions dénoncée dès le départ, le déficit annoncé l’année dernière par le conseil départemental étant un frein à l’investissement de sa partie, et conditionnant aussi celle de l’Etat.
Le résultat est logiquement à la hauteur des craintes : « Le nouveau CPER prend le même chemin, avec 11 millions d’euros engagés en 2015, et pour l’instant, 12 millions en 2016. Alors que si l’on veut consommer l’intégralité des 378 millions d’euros, c’est 75 millions d’euros qu’il faudrait dépenser par an », fait remarquer l’économiste.
Même difficulté pour les fonds européens dont 11% sont engagés, « soit 11 millions d’euros, là où ils devraient être de un tiers. » Ce qui suffit selon lui à reléguer la clause de revoyure aux calendes grecques, puisqu’elle devait être l’occasion de réévaluer les montants nécessaires.
L’indexation a achevé les collectivités
En effet, il va falloir d’un côté que le gouvernement montre une volonté ferme d’investir dans l’île, et réévalue comme Manuel Valls s’y étaient engagé, la dotation globale de fonctionnement pour abonder les finances du département au moins à la hauteur de la Guyane. De la même manière, le versement total de l’octroi de mer aux communes, bien qu’échelonné sur trois ans, va pouvoir leur permettre d’envisager des programmes de développement en préfinancement des fonds européens. Mais pas immédiatement.
Enfin, les collectivités qui n’arrivaient déjà pas à sortir la tête de l’eau, ont été plombées par le financement de l’indexation des salaires qui atteindra 40% en 2017. Anéantissant leur épargne et leur faible capacité de préfinancement.
Il faut enfin avoir les moyens humains de consommer : « La capacité est-elle là pour bénéficier de tous ces fonds et mettre en œuvre ces projets », s’interroge Daoulab Ali Charif. Des compétences qui arriveront malgré tout si l’Etat donne une orientation claire de vouloir investir dans ce territoire.
Les entrepreneurs privés peuvent aussi prendre le relai, mais notre économie est encore très dépendante des transferts publics de la métropole, comme toutes les économies ultramarines, en dépassant tous les records chez nous.
Daoulab Ali Charif a du chercher désespérément un argument permettant de conclure sur une note optimiste, et l’a trouvé : « On note un retard au démarrage de la consommation de fonds européens dans tous les autres territoires. » Qui serait facilement boostée par des orientations politiques fortes du département et du gouvernement.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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