Ce début de mois d’août 2015 était tourmenté à La Réunion. La grosse semaine de sport et de fraternité entre sportifs des îles de l’océan Indien tourne à l’incident diplomatique de 1ère catégorie. Lors de la cérémonie d’ouverture, la délégation comorienne quitte le stade en plein défilé des athlètes alors que la délégation de Mayotte vient de se ranger juste derrière le drapeau tricolore d’une double délégation “France océan Indien”.
Les sportifs comoriens sont priés de plier bagages et de rentrer à la maison. Mais à l’aéroport Roland Garros de Saint-Denis, au moment où la délégation s’apprête à prendre l’avion, le compte n’y est pas. Sur 250 sportifs et encadrants, 58 comoriens sont portés disparus selon les chiffres de la préfecture de La Réunion et dès le 1er septembre, leurs visas de court séjour arrivent à expiration. Ils deviennent officiellement sans papiers.
Mohamed Safaoui fait partie de ces sportifs comoriens qui manquent à l’appel. «Ce qui s’est passé aux Jeux a été un déclic. Nous nous sommes retrouvés au cœur d’un problème qui ne nous concernait pas, nous les sportifs. C’est là que j’ai décidé que je devais rester», confie-t-il à nos confrères du Journal de l’Île. C’est le début de la clandestinité. «J’ai passé trois ou quatre jours seul, sans rien. Avant de faire appel à quelques connaissances qui pouvaient m’aider».
Solidarité et débrouillardise
Cap sur Saint-André, dans le nord-est réunionnais, où la diaspora comorienne est forte. «Un ami m’a hébergé. Je suis d’ailleurs toujours chez lui», raconte Mohamed Safaoui qui assure n’avoir gardé aucun contact avec les sportifs qui ont fait le même choix que lui. «Nous avions un objectif commun, celui d’essayer d’avoir une vie meilleure à la Réunion. Mais à partir du moment où l’on s’est séparés, c’est devenu du chacun pour soi. Je n’ai pas eu de nouvelles des autres, et je n’ai pas cherché à en avoir».
Un an désormais qu’il survit autant qu’il vit. Impossible évidemment de travailler de manière déclarée. «Je me contente de ce que j’ai. Alors, je me débrouille. Avec des petits boulots à droite à gauche. Je n’ai pas besoin de plus. Je mène une vie simple. Ma priorité, c’est le sport».
Un coureur de fond respecté
Dans son pays, Mohamed Safaoui, 34 ans, était le meilleur des coureurs de fond. Il a d’ailleurs longtemps vécu au Kenya, où il s’entraînait quotidiennement avec quelques-uns des meilleurs coureurs de la planète jusqu’en 2012. «Mais aux Comores, ma carrière était un peu dans l’impasse. Difficile de progresser. Je n’avais plus de perspective. C’est pour cela, surtout, que j’ai choisi de rester à la Réunion. Il y a tellement de courses ici… C’est génial», sourit celui qui a choisi de ne pas se cacher et de multiplier les apparitions sur les routes et les sentiers de l’île. Avec succès. Il compte parmi les grands animateurs de la saison.
Vainqueur des 10 kilomètres de Sainte-Suzanne, il figurera parmi les favoris du semi-marathon de la Corniche dimanche matin. «J’aimerai m’approcher des 1h10′. Même si j’avoue que je ne m’entraîne pas encore tout à fait comme je le voudrais. Cela ira mieux quand ma situation personnelle sera moins compliquée… Au-delà des résultats, j’ai été très bien accueilli par les coureurs réunionnais. J’ai maintenant l’impression de faire partie de leur famille. On me reconnaît, on m’encourage».
Cette notoriété naissante, il entend bien en profiter au moment où il entamera des démarches pour sa régularisation. «J’ai commencé à réunir les papiers nécessaires. Il va aussi falloir que je trouve un avocat pour m’aider. L’objectif est de décrocher une carte de séjour. Je pourrai alors travailler, construire ma vie ici, gagner un peu d’argent et même envisager de me marier».
La discrétion au quotidien
En attendant, sa situation est totalement irrégulière. Mohamed Safaoui reste à la merci d’une arrestation et d’une expulsion vers les Comores. «Au quotidien, j’évite les ennuis. Je me fais très discret. Je ne traîne pas dans la rue, je ne sors pas le soir. C’est encore le meilleur moyen de ne pas avoir affaire à la police. Quand je quitte chez moi, c’est pour aller m’entraîner au stade. Je suis vigilant mais je n’ai pas peur. Au fond de moi, j’ai la conscience tranquille. Je n’ai rien fait de mal. Si on m’arrête demain, j’assumerai. Et je rentrerai aux Comores… Je n’ai pas grand-chose à perdre. En attendant, je suis là. Et je ne regrette rien. Si je me retrouvais un an en arrière, je referai exactement la même chose.»
Il commence à pleuvoir fort sur Saint-André mais Mohamed Safaoui n’est pas pressé de retrouver son toit précaire. Il resterait là des heures à raconter son histoire, à rêver d’une nouvelle vie. Il s’amuse : «Et si un jour je faisais les Jeux des îles sous les couleurs de la Réunion? Ce serait une immense fierté». La boucle serait bouclée.
RR, le JDM
Avec Lukas Garcia, le JIR.
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