Heureusement que le préfet n’avait pas choisi d’inaugurer les Journées européennes du patrimoine par M’gombani où les anciens devaient évoquer la mémoire de leur village, car point de récit au rendez-vous, seuls les enfants du programme de réussite éducative étaient là pour visionner le film sur l’évolution du quartier. Vrai conservation du patrimoine en revanche, un hidjabou, un grand mariage s’y préparait, celui de Soifia et Mikidade, pour lequel une dizaine de marmites chauffaient dès 8 heures.
Non, le représentant de l’Etat a préféré pénétrer en chaussettes rouge-bordeaux à l’intérieur de la mosquée de Tsingoni et en inaugurer le projet de restauration.
Découvrir la plus ancienne des mosquées de France encore en activité, guidé par les commentaires de Marion Lalanne, historienne du patrimoine au bureau de recherche Galia Patrimoine, et d’Ambass Ridjali, attaché territorial à la mairie de Tsingoni, est un privilège que n’ont pas boudé de nombreux visiteurs, comme l’ancienne ministre de la Culture Catherine Tasca, de passage à Mayotte, accompagnée du sénateur Thani Mohamed Soilihi, ou la vice-recteur Nathalie Costantini, ainsi que le président du TGI Laurent Sabatier et le 7ème vice-président du CD Ben Issa Ousseni.
Un bâtiment en pierre de corail
La fierté de la mosquée, c’est son mirhab de 1538, où s’installait l’imam pour dire la prière, qui révèle de part et d’autre de son encadrement, des inscriptions évoquant son origine. On y apprend qu’il fut construit par Haïssa, le fils du sultan Mohamed à Anjouan. S’installant à Tsingoni, il fit de la ville la capitale de l’île. Les derniers vestiges de cette histoire sont la mosquée, dont le minaret est bien postérieur puisque datant de 1994, et les mausolées.
La tradition orale nous apprend que ces tombes dites shiraziennes (de Perse, l’Iran actuel), abritent la femme et la fille du sultan Haïssa : « elles sont construites avec de la pierre de corail, comme la mosquée d’ailleurs. Et, comme le mirhab, semblent réduites, le sol ayant été remonté », apprendront les visiteurs. Un ouvrage « La mosquée de Tsingoni, plusieurs siècles d’histoire à Mayotte », détaille les évolutions de cette mosquée comparable à celles de Domoni (Anjouan), et de Tongonie (Tanzanie).
Une mosquée emblème de l’union aux valeurs du pays
La sauvegarde de ce patrimoine passe par un diagnostic archéologique préventif, conduit par l’Institut national de recherches archéologiques, initié par la Direction des affaires culturelles (DAC) de la préfecture de Mayotte, à la demande de la mairie de Tsingoni. Les premiers coups de marteau-piqueur ont été donnés ce samedi d’inauguration, « et déjà on peut y voir une différence de couleur de mortier, évoquant un remaniement des murs », expliquent les archéologues.
Mohamed Bacar, le maire de Tsingoni voit dans cet édifice classé aux monument historiques, un emblème d’ « union de tout un peuple à la France par ses valeurs intégratrices (…), de tolérance, de bien vivre ensemble. » Elle s’oppose, selon l’élu, « aux dérives qui nous poussent à transgresser nos lois locales, les règles de partage fondamentales de notre société mahoraise », en martelant que « le vol, les violences, le radicalisme, sont bannis par la société traditionnelle mahoraise. »
Le croissant de lune revisité
Ces valeurs exposées comme un patrimoine, le préfet Frédéric Veau ne pouvait que « (s)’y associer », et rappelait que « Mayotte et la République avaient un destin commun. » Au moment où le sultan faisait construire cette mosquée, beaucoup plus au nord on s’activait aussi, « 1538, c’est l’année de la conception de la place du Capitole par Michel Ange à Rome », évoquait-il. Une mosquée « vieille dame dont il faut prendre soin », et qui sera regardée de prés par la génération montante.
En effet, les élèves de l’école primaire de Tsingoni ont effectué un travail alliant l’histoire, la géométrie, le français, avec une comparaison des différents lieux de prière en France.
Depuis 6 mois, le minaret a perdu son croissant de lune, qui menaçait de s’effondrer. Les crédits pour sa restauration viennent d’être débloqués, et il devrait de nouveau tutoyer les cieux début 2017.
Pour lancer tout à fait cette 3ème édition des Journées du Patrimoine, 3 décorations de l’ordre de Chevalier des arts et des lettres furent remises. A Chloé Lesschaeve, Directrice adjointe de la DAC Mayotte, qui quitte l’île à la voile pour Madagascar dans deux semaines, et qui aura œuvré dès son arrivée pour qu’un relais local soit assuré. A Rastami Spelo, l’infatigable défenseur des langues en les vulgarisant auprès du grand public. A Abdallah Haribou, initiateur de l’association Hip Hop évolution, qui a rapporté avec Lil stylz le trophée du meilleur show de la BOTY 2015.
Les habitants de Mayotte commencent à entrevoir l’intérêt de conserver le patrimoine, qui reste un référentiel de valeurs à ne pas oublier.
Il reste encore ce dimanche pour le découvrir (Voir progamme-jep-2016).
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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