La gérante de la SMART, Arlette Henry a écumé les radios ces derniers jours, pour alerter ce qui lui reste, l’opinion publique. Face à elle, la gestionnaire du port, Ida Nel et ses investissements à faire pâlir d’envie un grand port maritime. Et l’Etat aime ça, les gens qui investissent. Retour sur les évènements majeurs qui engagent l’avenir du poumon de Mayotte.
En 2013, le conseil départemental, propriétaire du port de Longoni, remet sa gestion en jeu, le précédent contrat avec la CCI arrivant à échéance. Une Délégation de service public est donc lancée, et c’est Ida Nel qui l’emporte au nom de la SNIE. Elle créée ensuite une entité, Mayotte Channel Gateway, pour gérer le port. Elle sera le gestionnaire, et la SMART continuera à effectuer la manutention avec ses dockers.
Mais peu de temps après, Ida Nel se positionne sur le secteur de la manutention, en changeant son code APE. Ce code, caractérisant son activité principale, est délivré par l’Insee. Qui se serait trompé selon Ida Nel : « Le code que nous avions nous classait en service auxiliaire de transport d’eaux ». Tant qu’à le modifier, elle opte pour la manutention. Qu’elle confie à sa filiale Manuport.
La manutention pas concernée par la DSP, pour le CD
Gestionnaire et manutentionnaire… Le cumul commence à faire tousser du côté de la SMART, et pour cause, la DSP n’est pas claire à ce sujet, ne précise à aucun endroit qui fait quoi. C’est le nœud du problème. Et il n’est toujours pas tranché, puisque la requête en interprétation du texte demandée par le conseil départemental n’a toujours pas été produite.
Constatant ce manquement, Daniel Zaïdani, qui présidait le département, se fend en septembre 2014 d’un courrier (Lire lettre-du-president-du-conseil-general-daniel-zai%cc%88dani) où il précise que « la manutention n’a pas été intégrée dans le périmètre des missions de la DSP ». Position que reprend son successeur, Soibahadine Ibrahim Ramadani, qui « confie à la SMART l’activité de la manutention portuaire avec une clause de revoyure tous les deux ans ». Il rajoute même que « les grues seront utilisées par les agents de la SMART, conformément à la législation en vigueur. »
Deux avis dont ne tient pas compte Ida Nel qui se fonde sur la déclaration d’Ibrahim Aboubacar lors du conseil portuaire de 2012, qui n’est pas si claire, puisque il évoque une manutention libre, en cas de carence du concessionnaire. Or, nous ne sommes pas dans une situation de carence, du moins plus depuis que la SMART, a récupéré son autorisation d’occupation (AOT) de la zone portuaire. Mais ce qui renforce Ida Nel, c’est surtout le jugement du tribunal administratif du 9 octobre 2015, qui se prononçait en faveur de l’expulsion du port de la SMART (faute de détention d’une AOT à l’époque), et rajoutait, alors que ce n’était pas le fond du dossier, que MCG pouvait pratiquer la manutention.
Défisc, mais sans personnel qualifié
Entretemps, elle met en marche son programme d’investissement : 3 grues et 4 portiques RTG arrivent sur le port. A les voir, on se croirait presque à Rotterdam. Elle se justifie : « J’ai un contrat de 15 ans, je ne vais pas investir au fur et à mesure. Il faut avoir de l’ambition pour cette île », nous déclare-t-elle. C’est donc un pari sur l’avenir, mais ambitieux, comme l’avait relevé la Chambre régionale des comptes (CRC) saisie par le préfet Jacques Witkowski : « l’investissement ne paraît pas sans risque, y compris pour le département de Mayotte », et encore, l’avis ne portait que sur l’achat de « deux grues et d’un portique. » L’investissement actuel est de 3 grues et 4 RTG. Pour les rentabiliser, les tarifs sont augmentés de 100 à 200%, malgré l’aide apportée par la défiscalisation.
Le rapport-cour-des-comptes précise qu’en cas d’absence d’accord de défiscalisation sur les investissements de MCG, le financement se ferait par une participation du conseil départemental. Mais pour défiscaliser, elle doit utiliser les grues maniées par son propre personnel, contrepartie logique pour l’emploi, de l’aide de 7 millions d’euros de l’Etat.
« J’ai obtenu la défiscalisation depuis fin 2014 », nous confirme Ida Nel. Pour qu’elle emploie son personnel sur ses propres grues, deux conditions sont à réunir : elle doit être agréée, or seule la SMART l’est, et ses agents doivent être diplômés. Et en matière de grues, la pro, c’est la SMART. Après des journées de blocage du port, le préfet Morsy impose aux deux parties le 23 décembre 2015, la signature d’une convention indiquant que les agents du manutentionnaire SMART sont mis à disposition du délégataire MCG, pour réaliser les opérations de manutention. Une annexe doit préciser les conditions. Elle ne sera jamais signée, les deux parties s’en renvoient la faute.
L’échéance du 31 décembre 2016
Mais la plupart des navires ayant déjà leurs propres grues embarquées, nous avons donc interrogé Ida Nel sur la raison d’un tel investissement. Car son outillage n’étant pas utilisé, elle impose alors, et est suivi tout à coup par le conseil départemental malgré un avis défavorable de son consultant (Lire le rapport-consultant-catram), une Indemnité compensatoire, une amende pour ne pas dire pire, à tous les navires, gréés ou non, n’utilisant pas son matériel. Elle justifie l’achat de tels équipements par « une productivité accrue par rapport aux grues embarquées », ce que contestent les agents de la SMART, « et parce que CMA CGM va évoluer vers des navires non gréés ». La compagnie de Jacques Saadé participe donc à la météo du port de Longoni.
Car entretemps, on a assisté à une autre volte face, la compagnie CMA CGM, partenaire historique de la SMART, ayant choisit MCG. Mais doit faire machine arrière à la suite d’un jugement du tribunal de commerce de Marseille, qui lui impose de travailler avec son manutentionnaire, jusqu’au 31 décembre 2016.
L’échéance approche, et la SMART la voit arriver avec inquiétude. Car ses grutiers n’ont pas fini leur formation « qui doit se faire sur les grues de MCG. Or, elle ne veut pas », se plaint Arlette . Ce qu’Ida Nel conteste, « je ne demande que ça, mais ils doivent être mis à disposition, et avoir une fiche de salaire MCG. » Pour Arlette Henry, pas question de mettre à disposition tant que la formation n’est pas terminée. Une formation qui leur permettra d’obtenir le CACES catégorie 2C, « le seul valable selon la Sécu », rapporte Arlette Henry, quand les agents d’Ida Nel n’ont que le CACES catégorie 1A, « c’est suffisant », assure-t-elle.
C’est 70% de son chiffre d’affaire qui partira si CMA CGM signe avec MCG à la fin de l’année, affirme Arlette Henry, « 50% » pour Ida Nel, qui invite sa désormais concurrente à se restructurer. Mais un partenariat qui ne pourra se faire que si cette dernière obtient l’agrément sur la manutention.
Voyant leur avenir s’assombrir, les agents de la SMART campent depuis jeudi au conseil départemental en signe de protestation.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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