A l’occasion de ces samedis à thème, le MuMa (Musée du Mayotte), proposait une conférence sur ce que Ben Saïd Abdoulkarim, qui le dirige, évalue comme « notre patrimoine et notre devoir de transmission », l’eau. Il avait convié pour cela la FMAE, qui de son président à son Trésorier tiendront le même langage, « nous savions, et nous n’avons rien fait ».
L’objectif de la conférence qui attirait une vingtaine de personne, était de proposer des solutions, « mais pas d’indexer des responsabilités qui sont surtout individuelles. Les gens veulent un changement, mais ne veulent pas changer », juge Ali Madi, président de la FMAE.
« Dès 2014, nous avions averti qu’il y aurait un risque de pénurie, puis de nouveau en mai dernier. J’ai acheté un fût pour récupérer les eaux de toitures. La plupart préfèrent prier pour invoquer le ciel, mais dans la phrase ‘aide-toi, le ciel t’aidera’, ils oublient la première partie de la phrase’ ! »
Ali Madi reprend les tendances de Météo France, « à retrouver sur leur site » : « Les modèles s’accordent sur une baisse d’intensité des flux de mousson durant l’été austral, avec une concentration sur les 3 mois janvier-février-mars, et peu de pluie en dehors de cette période. La pluie des mangues de la période octobre-novembre-décembre a été très faible cette année. »
Les mauvaises habitudes perdurent
Le réchauffement climatique, combiné à El Nino, combiné encore au dipôle de l’océan Indien (différentiel de chaleur des eaux au bénéfice de l’Australie), maintiennent une zone de sécheresse à Mayotte.
« Maintenant, comment gère-t-on la situation ? Quand on sait que l’eau est à l’origine de 55% des catastrophes naturelles, et peut provoquer mortalité ou guerres. »
Les rivières sont à l’origine de 80% de notre apport en eau, en approvisionnant notamment les retenues collinaires. Or, les menaces sont nombreuses, et restent prises à la légère, à entendre Kamarizaman Soilihi, le Trésorier de la FMAE : « Quand on voit les lessives perdurer en rivière, on ne peut que s’inquiéter sur l’impact alors que le débit se réduit et que la population augmente. »
Il égraine les autres menaces : les dépôts d’ordures sauvages, « avec un SIDEVAM encore en rodage », l’urbanisation incontrôlée jusque dans les lits des rivières, « alors que les crues décennales peuvent tout emporter et que toutes les communes ont un Plan local d’urbanisme », les pollutions par de nouveaux types de déchets comme le matériel informatique ou les produits phytosanitaires.
Trop de laisser faire
La déforestation aussi, « nos grands-parents nous disent qu’ils ont toujours pratiqué le brûlis, mais il ne reste que 8% de couvert boisé, contre 24% en France. Donc, l’humidité n’est pas retenue par ce couvert végétal, et il n’y a plus d’évaporation, plus de nuages. » Et les racines des arbres ne sont plus là pour favoriser l’infiltration dans les sols et nourrir les sources des rivières. « Les arrêtés existent, mais ne sont pas mis en application. »
Certaines rivières sont envasées par l’activité humaine, « c’est le cas des deux carrières de Kangani et de Mtsamoudou ».
Les responsabilités publiques sont nombreuses : « La police de l’eau de l’Etat, les polices municipales, qui pourraient orienter les lavages au moins vers les rivières non utilisées pour la consommation humaine, or on laisse faire à Ourovéni qui approvisionne la station. On s’interroge sur la volonté de nos décideurs. »
Sensibiliser la population, les élus et l’Etat, c’est l’objectif de la FMAE, qui a des solutions pratiques en poche : construire des lavoirs dans toutes les communes, récupérer les eaux de pluies issues des toitures, installer du matériel hydro-économe de réduction de pression sur les robinets, prendre en compte les vrais chiffres pour les prévisions, moderniser le réseau. « La population est pointée du doigt, mais même si nous fermions tous nos robinets une journée, l’impact serait minime ».
Sanctionner la délinquance environnementale
Et des solutions pérennes, qui doivent agir sur le long terme : « Nous n’avons pas d’Office de l’eau, et nous n’en aurons pas. Or, il collecte des fonds pour répondre à tous ces problèmes. Les pouvoirs publics doivent s’emparer de ce sujet qui doit passer par le Comité de Bassin. »
Et la justice doit s’y mettre ! « Il faut une maîtrise juridique foncière des bassins versants, c’est à dire des cours d’eau, des retenues collinaires. La délinquance environnementale n’est pas prioritaire sur les vols et agressions. Or, elle doit être sévèrement punie. » Il faut également une maitrise technique de la couverture biologique, un suivi qualitatif et quantitatif du cycle de l’eau, et une formation des élus et cadres départementaux, « ce sont eux qui ont la compétence sur l’état des rivières. »
Le débat s’engageait par la prise de parole d’un parent d’élèves de Sada, furieux : « Cela fait 4 mois que les enfants ne vont pas à l’école, la préfecture répond qu’elle n’a pas de moyens. Nous appelons à une réunion ce dimanche à 16h. » Une intervention contrée aussitôt par le président de la FMAE, « mais la commune de Sada a bien deux délégués au Syndicat des Eaux ! Le Sieam qui laisse 20% de fuite sur l’ensemble du réseau. L’Etat investit à Mayotte, mais qui entretient derrière ?! » Une compétence qui revient aux maires qui ont délégué au Sieam.
Des élus locaux qui doivent être interpellés : « Nous payons des factures pour 30 jours, or nous n’avons de l’eau courante qu’un jour sur trois. Nous devons nous impliquer tous. »
A moyen terme, la FMAE appelle à une réflexion, « il faudra sans doute réorienter notre économie en fonction de notre capacité en eau. »
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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