Neuf régions, neuf discours, neuf déclarations d’amour et une longue complainte partagée. Les régions ultrapériphériques françaises (Mayotte, Guadeloupe, Martinique, Guyane, Saint-Martin et Réunion), les 2 portugaises (Açores et Madère) et l’espagnole (Canaries) n’ont pas ménagé l’Union européenne lors de l’ouverture du 4e forum des RUP ce jeudi à Bruxelles. D’autant qu’avec la crise en Guyane, l’actualité est venue rappeler que la politique, ce n’est pas que des mots mais des effets très concrets pour les habitants de l’Union … pour le meilleur et parfois pour le pire. «La Guyane est un concentré des promesses et des engagements non tenus», a résumé Alfred Marie-Jeanne, le président de la collectivité de Martinique, très en verve.
Le président guyanais Rodolphe Alexandre, absent*, n’a pas pu entendre les nombreux messages de solidarité à destination d’un territoire qui assure actuellement la présidence de la Conférence des présidents des RUP.
«On veut aussi montrer que l’Union européenne apporte son soutien à cette région», a dit pour sa part Corina Cretu, la commissaire pour la Politique Régionale qui a tout de même remis les pendules européennes à l’heure: «L’Europe ne peut pas faire de miracle si les états membres ne font pas leur travail de leur côté. On entend tout le temps que ce qui est bon vient des états membres et ce qui est mauvais vient de Bruxelles. Il faut mettre un terme à ces discours».
3 bougies pour Mayotte
Pour Mayotte, intégrée dans le club des RUP il y a 3 ans, ce forum est l’occasion de tirer un bilan rapide: «pas de changements notables», pour Soibahadine Ibrahim Ramadani, au moment où un quart des fonds européens destinés à notre département sont consommés. Alors que l’ambiance continentale est à l’euroscepticisme, à Mayotte, ce n’est pas le cas: «L’Europe a été créée au moment de la vague des indépendances. 60 ans après, l’Histoire nous donne raison», a relevé le président du Conseil départemental qui porte «une vision du développement à l’échelle d’une génération».
«Mayotte doit devenir le ‘hub’ de l’Europe dans l’océan Indien occidental, la tête de pont de l’Europe dans le Canal du Mozambique», a-t-il fait valoir, sous le regard du Réunionnais Thierry Robert… qui, lui, a rappelé que La Réunion ne mène plus une politique de rattrapage mais «une logique de progrès». Même à Bruxelles, Les Réunionnais ne peuvent s’empêcher de rouler des mécaniques.
Les revendications des RUP
L’ouverture de ce forum à Bruxelles intervenait au moment où les RUP s’apprêtent à remettre un mémorandum au président de la Commission Jean-Claude Juncker. Le «collège des commissaires» doit ensuite proposer des pistes de travail pour renouveler les liens entre l’Union et les RUP dans les semaines qui viennent. . «Nous sommes tout à fait prêts à écouter vos remarques sur la vision des RUP pour les 10 ou 15 ans à venir», leur répondait la commissaire Cretu.
Conséquence, les interventions des présidents étaient à l’unisson pour demander une prise en compte par Bruxelles de leurs intérêts. «Certains instruments ont été utiles et ont bien fonctionné comme le Posei**. (…) Mais les réglementations sont beaucoup trop éloignées de la réalité de nos territoires», faisait remarquer le président des Canaries, rejoint par Rodolphe Alexandre, qui demande que «l’Europe adapte ses réglementations aux réalités» ultramarines.
Pour le président guadeloupéen, «réussir l’Europe, c’est réussir l’emploi dans nos régions» toutes marquées par un taux de chômage très élevé. Unanimement, les présidents ont plaidé pour maintenir la politique de cohésion au-delà de 2020, «outil crucial de convergence et d’intégration des RUP en Europe», et soutenir les filières: l’agriculture, les transports, les énergies, le numérique, la compétitivité économique… chacun complétant les déclarations des autres, pour «amener l’Europe à penser les RUP de façon politique», comme le souhaite le président de Madère.
Les enjeux migratoires et leurs effets «dévastateurs» en Guyane et à Mayotte ont également été évoqué.
La pêche et les accords internationaux
Mais deux sujets ont déchaîné les passions. D’abord, la pêche. Pour les RUP, l’enjeu est d’obtenir le financement du renouvellement des flottes de pêche artisanales, refusé par la commission européenne le 22 mars dernier. «Ne pas autoriser les renouvellements, c’est condamner nos pêcheurs, nos ressources côtières (les pêcheurs ne pouvant plus aller au large) et encourager la pêche illicite», relevait Rodolphe Alexandre.
Deuxième sujet chaud, la politique extérieure de l’Europe et les négociations d’accords internationaux. «Sommes-nous concernés?» demande perfidement Alfred Marie-Jeanne. «L’Union européenne a donné son accord à l’OMC pour des négociations avec les pays les moins avancés et les ACP***, pour que ces pays puissent bénéficier de subventions pour préserver l’emploi… Et nous alors? Charité bien ordonné commence par soi-même», concluait-il sous les applaudissements de l’ensemble des représentants des régions.
Juncker au micro ce vendredi
Bref, pour les RUP les chantiers sont nombreux et le remise de ce mémorandum au président Juncker ce vendredi est donc important, en pleine crise de l’Europe. Le Royaume-Uni a déposé sa demande pour enclencher sa sortie ce mercredi… Ce qui signifie, comme le faisait remarquer la secrétaire d’Etat portugaise aux Affaires européennes Margarida Marques, qu’«il va falloir prendre en compte la baisse du budget de l’UE liée au Brexit».
Jean-Claude Junker a l’occasion de répondre directement aux inquiétudes des président des RUP ce matin. Il s’adresse à eux en ouverture de la 2e journée du Forum.
RR
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*Ericka Bareigts, la ministre des Outre-mer était également absente pour cause de négociations en Guyane. Le gouvernement français était représenté par Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’Etat chargé du développement et de la francophonie.
**POSEI : Programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité
***ACP : Pays Afrique, Caraïbe, Pacifique
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