L’homme qui est à la barre est accusé d’avoir détourné 170.000 euros au préjudice de la Poste, « qui vous avaient été remis », assène le président de l’audience de la Chambre d’appel. Car, circonstance aggravante, Y.S. était alors le directeur du bureau de Poste de Chirongui. Il avait été condamné en 1ère instance à 2 ans de prison dont 18 mois avec sursis, avec obligation de rembourser le préjudice, d’exercer une activité professionnelle, et une interdiction d’exercer dans la fonction publique.
Un premier jugement d’appel avait confirmé ce jugement, mais la Chambre criminelle de la Cour de Cassation l’avait cassé sur la motivation de l’emprisonnement ferme. Impliquant pour le prévenu de se représenter en appel.
C’est en 2005 que la direction de La Poste découvre le préjudice. Suspectant des détournements, elle diligente une enquête. Le contrôleur de gestion s’enquiert auprès de Y.S., « mais vous n’avez jamais donné de réponse satisfaisante, tout en avouant être à l’origine des détournements de fonds, qui ont débuté 5 ans auparavant. »
300 euros par mois pour rembourser 170.000 euros
Face aux juges, Y.S. est en pleur, il s’effondre même sur la barre, n’arrive plus à articuler. C’est péniblement que le juge obtient quelques réponses, « vous avez été révoqué en décembre 2009 ? ». Après un petit « oui », on apprendra que sa vie familiale a été chamboulée, et qu’il a encore 7 enfants à charge, tous mineurs. Il en a eu 2 après 2009. Sa nouvelle compagne travaille à l’hôpital.
« Je ne peux pas rembourser », explique-t-il, « je n’ai qu’un travail aux champs pour un agriculteur, qui me rapporte 300 euros par mois. Je n’arrive pas à subvenir aux besoins de mes enfants, et mon écart a provoqué des problèmes de santé. Je dors avec un masque qui m’aide à respirer, je fais de l’hyper tension, j’ai eu 3 opérations du cœur, je vis un enfer. » Il n’a à ce jour pas commencé à rembourser, « je ne peux même pas payer une facture d’électricité. »
Raison contre émotion
Un discours qui n’ébranle pas outre-mesure l’avocat général, « Y.S. s’apitoie sur un sort dont il est à l’origine. Votre cour n’est pas une juridiction de surendettement », fait remarquer Robert Ampuy, qui s’appuie sur les faits, « nous ne sommes pas sur une opération isolée liée à une situation ponctuelle, mais à des détournements de fonds débutés 5 ans auparavant. » Il évoque un contrôle interne à La Poste qui avait estimé le préjudice à 540.000 euros.
Le magistrat déplore une absence de prise de conscience de sa culpabilité, Y.S. ayant glissé, « je ne sais même pas comment j’ai pu faire ça. »
Son avocat Mansour Kamardine rappelle en effet que son client n’a jamais reconnu les faits, « lors de la livraison du camion de la Brink’s, il était absent. L’instruction a été incomplète, n’a pas proposé de confrontation. »
Son client n’ayant pas développé cet argument à la barre, l’avocat appellera à « le juger avec humanité », « c’est la 2ème fois seulement que je vois quelqu’un pleurer à cette barre. » Il revenait sur la condamnation en 1ère instance, « très sévère. Dans l’affaire des douaniers de Longoni, il n’y a pas eu de peine de prison malgré l’atteinte à l’ordre public. » En réalité, des peines de prison ferme avaient bien été données dans cette affaire. « Tout excès est vain », concluait-il.
Le prévenu revenait à la barre pour déclarer : « Je ne vis pas, je survis. »
Le délibéré sera rendu le 8 juin.
A.P-L.
Le Journal de Mayotte
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