Ressemblant plus à des lampistes, ils ne repartiront en prison ni l’un ni l’autre les deux prévenus présents, accusés d’avoir joué un rôle dans deux cambriolages à un mois d’intervalle : celui du magasin Intersport dans la nuit du 4 au 5 février 2016, et celui de Kwezi TV (KTV), dans la nuit du 15 au 16 mars 2016. C’est un 3ème individu, A. M., absent à l’audience, qui les a dénoncés, après avoir reconnu être lui-même impliqué.
Chez Intersport ce sont 1.738 euros en liquide qui avaient été volés, un coffre fort, des chèques, des ordinateurs portables et de nombreux articles de sport pour une valeur de 20.000 euros. Celui de Kwezi était d’une toute autre ampleur puisqu’il portait sur 2.452 euros en liquide, ainsi que du matériel audio et vidéo évalué à 258.952 euros.
D. D., surnommé « Sniper » est appelé à la barre. Il a déjà fait un an de détention provisoire pour ces deux affaires. Au départ de l’enquête, il nie en bloc. Et, bien qu’encore jeune puisqu’âgé de 18 ans au moment du délit, ne reconnaîtra les faits que lorsqu’ils sont étayés de preuves matérielles. « Vous ne reconnaissez votre présence à Kwezi que parce qu’on a retrouvé vos empreintes sur la porte ! », lance le président de l’audience Laurent Sabatier, « et Intersport ?! » « Si j’y avais été, les caméras du magasin l’auraient montré ! », rétorque-t-il. « Vous aviez coupé le courant », accuse Laurent Sabatier.
« ‘Pourquoi je suis en prison ?’, c’est une bonne question ! », répond-il au juge
Pendant plus d’une demi-heure, il essaiera avec ses assesseurs de lui faire avouer son implication. En vain. « Les tee-shirts neufs qu’on a retrouvés en votre possession ? », « j’en ai trouvé 6 dans une poubelle, les autres, c’est ma tante qui me les a achetés. » Son rôle dans le cambriolage de Kwezi est minime selon lui : « Jean-Paul m’a réveillé en pleine nuit pour me dire, ‘il y a encore des affaires à récupérer là-bas’. Je les ai juste aidés à transporter 2 ordinateurs jusqu’au rond point SFR, où ils les ont repris. »
N.A. est à la barre aux côtés de Sniper. Mais, déjà détenu, il est arrivé, lui, entre deux gendarmes. Nous livrons quelques morceaux choisis de sa déclaration, traduite par l’interprète. « Je voudrais d’abord saluer tout le monde, et dire que je suis mécontent de l’absence de A.M. qui a menti sur mon implication comme receleur pour le vol de Kwezi TV. » Laurent Sabatier lui fait remarquer que plusieurs personnes l’ont vu portant une télé le lendemain des faits, « c’est faux, je n’aime d’ailleurs pas regarder la télé ».
Le juge s’enquiert de son statut de détenu, « pourquoi êtes-vous en prison ? », « vous avez posé une bonne question », rétorque-t-il le plus tranquillement du monde, « je ne sais pas, car je n’ai jamais rien volé. J’aurais aimé que vous me laissiez le temps de vous expliquer les raisons de ma présence aujourd’hui », « mais c’est la convocation ! », répond le magistrat en regardant les deux gendarmes qui l’encadrent. Avant l’affaire, ce comorien de 27 ans en situation irrégulière vivait de bricoles, « donc non déclarées ?! Et vous savez qu’on est plus tranquille aux Comores, on ne vole pas beaucoup ! »
« KTV n’a jamais donné la moindre facture »
Le mobile du vol
« Quel était le mobile du vol à Kwezi ? », avait demandé le juge Banizette, assesseur, à Snipper. Nous n’aurons aucune réponse durant les 2 heures que va durer le procès, et pourtant, c’est le fond de l’affaire. Qu’abordera avec nous le directeur du groupe, Patrick Millan, à l’issue du procès.
A l’issue, car arrivé vers la fin du procès, il ne s’est en outre pas constitué partie civile, ces deux constats qui lui vaudront une charge en règle de la part du procureur Léonardo.
Qui commençait par le défendre, rappelant les doutes émis au début de l’affaire par certains « qui soupçonnaient une escroquerie à l’assurance, il a fallu faire une conférence de presse pour faire taire les fantasmes, rocambolesque ! » Il poursuivait en critiquant donc l’absence de constitution de partie civile, en le mettant en parallèle avec le « préjudice estimé », et il répètera l’adjectif « estimé », « de plusieurs milliers d’euros. C’est étonnant ! Inexplicable ! D’autant que KTV n’a jamais donné la moindre facture, estimant seulement le préjudice, et là, il ne vient même pas expliquer ou évaluer ce préjudice ? Surprenant ! »
Montrez moi mes empreintes, je vous dirai qui je suis
Sa charge suivant sera pour Snipper, « je n’ai jamais vu aussi mauvais acteur, qui change d’avis comme de vêtements volés. Et reconnaît son implication sur le thème ‘montrez-moi s’il y a mes empreintes, sinon, je n’ai rien fait !’ » Etant donné les trois casiers judiciaires vierges au moment des faits, il demandera un an de prison avec sursis pour Snipper, même peine pour A.M. « qui reconnaît les faits », et 8 mois avec sursis pour A.N.
Les trois avocats des prévenus en étaient à critiquer l’absence de représentation de Patrick Millan, « alors qu’on avait à l’époque largement évoqué l’atteinte à la liberté de la presse », lorsque ce dernier arrivait dans la salle d’audience.
Pour Me Bazzanella, son client détenu, A.N., a fait de la préventive pour rien, il plaidera la relaxe, « il n’était pas sur place, et on l’accuse de receler quelle marchandise ? On n’a rien retrouvé ! ».
Le tribunal avait averti Snipper sur sa position peu crédible, c’est là dessus que jouera son avocate Me Saliceti : « Il n’a pas l’air sympathique, mais au moins, il est présent à la barre contrairement à son accusateur A.M. Il est orphelin et en situation irrégulière ici. Il vit de la solidarité, donc quand on lui demande de l’aide pour un cambriolage, il y va. Il n’a tiré aucun profit de ce cambriolage. » C’est bien le problème, où sont les commanditaires, les bénéficiaires ?
« Le matériel tracé en Tanzanie »
Elle reviendra ensuite sur le contenu du dossier, « on n’a pas tous les éléments. Où est le Jean-Paul qui est venu chercher mon client ? On n’a pas retrouvé le matériel, il manque beaucoup d’éléments. On a entendu clamer les plaignants sur la presse muselée, là, il n’y a pas de victimes, pas de partie civile, et pourtant, on a mis des moyens importants pour l’enquête. »
Arrivé trop tard, Patrick Millan n’a pu s’exprimer à l’audience, mais nous explique sa position : « Me porter partie civile pour demander des indemnités à des gamins de 15 ans non-solvables ?! Aucun intérêt, je préfère leur proposer de venir en stage d’insertion chez nous. » Sur le fond de l’affaire, il avait mené sa propre enquête : « Ils n’ont pas pris du petit matériel, mais ont préféré dévisser les gros décodeurs. Ils étaient 11 à être impliqués, dont un Africain à la tête, en lien avec Anjouan. Le matériel informatique avait été tracé jusqu’en Tanzanie, mais le procureur Garrigue m’avait dit, ‘on n’a pas d’accords avec ce pays, on ne peut rien faire. Pour nous, l’enquête s’arrête à Mtsamboro’ ».
Les avocats n’en démordent pas, si l’audience a tourné court, c’est par l’absence de partie civile, « l’enquête aurait pu être poussée, des perquisitions menées… »
C’est Snipper qui prendra la condamnation la plus lourde, un an de prison ferme, qui a été couverte par la détention provisoire, A.N. à un an de prison avec sursis après requalification des faits en recel, et repartira donc lui aussi libre. Quant à l’absent, A.M. sera condamné à 18 mois de prison avec sursis.
A.P-L.
Le Journal de Mayotte
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