Rien ne peut faire plus plaisir à Pauline Gendry, directrice des Archives départementales, que d’ouvrir ses portes et son savoir aux scolaires ou au grand public comme elle l’a fait dernièrement pour les Journées européennes du patrimoine. Elle baladait son auditoire de cartographies en archives de justice, de témoignages en microfilms.
Il suffit d’une lettre exhumée des tiroirs, pour éclairer des pans entiers du territoire. Par exemple, si Mayotte n’est pas bétonnée, si nous sommes épargnés par de hauts immeubles qui se dressent comme sur d’autres îles, nous le devons à un homme au caractère bien trempé Léon-Attila Cheyssial, exerçant à Mayotte à partir de 1976, fondateur des cabinets RéA et Atelier mahorais d’Architecture (AMA). « Il était à la fois architecte et sociologue, et a donc étudié l’île, a mené des enquêtes sociologiques dans les villages, avant de concevoir ses constructions. Il ne voulait pas de béton, mais des briques fabriquées avec de la terre et en pierre locales ».
Viré du marché
Il veut alors construire des cases POM, pour Programme outre-mer, auxquelles on va préférer les cases SIM. « Sur un chantier, alors qu’il trouvait les travaux n’avançaient pas assez vite, il a expulsé l’entreprise détentrice du marché, a choisi quelques artisans, et en 3 semaines, c’était terminé ! », relate Pauline Gendry. On apprendra qu’il a réalisé les bâtiments emblématiques de l’île, le minaret de la mosquée de Tsingoni, l’hémicycle du conseil général, les bâtiments de la préfecture et du vice-rectorat et le collège de Chiconi. « Il a formé beaucoup d’artisans, et a notamment fait venir les compagnons du tour de France ».
Un peu plus loin, de vieilles cartes révèlent leurs noms exotiques, en Afrique le Sahara est transcrit « Sarah ou le désert de Barbarie », et sur la carte de Mayotte, beaucoup d’appellations sont francisées, en bouleversant l’orthographe. Le plan de masse de Soulou a été réalisé par Henry de Balzac, le frère de l’écrivain, « il a été retrouvé récemment, même imparfaitement réalisé, c’est un des seuls plans de domaine sucrier. »
Immigration nulle en 1940
Les visiteurs en culotte courte découvriront l’île grâce à un jeu de type Memory, qui leur propose d’identifier les armoiries des communes. Mtsangamouji se révèle par sa feuille de songe, Boueni par son poulpe et Koungou par les outils des compagnons du tour de France.
Mais le must, ce sont les courriers exposés sur la table de la salle de lecture, consultable avec des gants blancs sur le mode « Le nom de la rose », et qui laissent jaillir des perles. On découvre notamment qu’en 1940, l’immigration et l’émigration sont notées comme « nulle par suite de la guerre ».
Et que beaucoup plus tard, en octobre 1976, le directeur de l’Enseignement national à Mayotte écrivait à son ministre pour lui faire part de ses craintes : « La demande de scolarisation est très forte », face à « une absence de structures » et à « une formation insuffisante des directeurs », « les inscriptions de nouveaux élèves dépassent de beaucoup les capacités d’accueil », ce qui le poussait à donner la priorité aux candidats détenteurs « d’un extrait de naissance payant ». Un « filtre peu moral », convient-il, mais qui permettait d’attendre un programme d’investissements qu’il appelait de ses vœux. Et qui s’est concrétisé, puisque le chiffre de 5.800 élèves dans le premier degré a largement été dépassé, et intégré grâce aux programmes de constructions scolaires dans le 1er degré. Mais jamais au rythme des naissances ou des arrivées.
Des 6ème d’adaptation
Même témoin des difficultés que traverse Mayotte actuellement, en août 1989, un de ses successeurs suggérait également dans un courrier à son ministre, que « les élèves ‘repêchés’ à l’examen d’entrée en 6ème (155 sur 611 en 1989), soient placés dans des classes de 6ème d’adaptation dont les contenus et les méthodes seraient repensés afin d’assurer une mise à niveau »…
Situé juste à la jonction des communes de Koungou et de Mamoudzou, le bâtiment des Archives se fait vieux, et les infiltrations à la saison des pluies provoquent humidité et moisissures que n’apprécient guère les documents stockés depuis des années. Pendant la visite, les échanges sont parfois inaudibles, une machine crachant ses décibels à proximité, « c’est ce qui nous permet de réguler l’ensemble. Elle doit être calée sur une température moyenne de 20 à 24 degrés », qu’on dépasse largement en raison d’une panne, « et une humidité de 45%, il faut éviter les chocs thermique, destructeurs de documents. »
Le patrimoine régional en ligne
Les Archives vont faire peau neuve, deux sites sont étudiés, tous les deux sis dans la commune de Combani.
L’autre projet majeur est la création d’une Iconothèque Historique de l’océan Indien, sur des fonds européens par le biais du programme INTERREG 5 : « L’objectif et de mettre en commun le patrimoine régional, avec bien sûr une utilisation commerciale encadrée. » D’ici fin décembre, des cartes postales anciennes sur Mayotte y seront versées. On peut déjà consulter bon nombre de documents en ligne.
Au fait, pour savoir où était la fameuse délibération sur les hydrocarbures, votée par les élus pour donner mandat au préfet pour en négocier le marché, et finalement localisée en préfecture, il suffisait de demander à Pauline Gendry ! L’archivage, ça a du bon…
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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