Si l’économie est très dépendante des transferts nationaux, comme dans tous les outre-mer, le déficit de structures à Mayotte n’a pas permis l’éclosion du secteur privé. Mais les responsabilités sont aussi locales, comme le pointait dans un discours remarqué, Bacar Ali Boto, premier adjoint au maire de Mamoudzou.
« Il n’y a pas si longtemps, deux motifs guidaient le créateur d’entreprise : c’était le dernier recours après avoir tenté d’entrer dans une administration, ou alors, un membre de sa famille remportait une élection, l’incitant à imaginer gagner des marchés. Dans ce cas, l’activité des entreprises évolue au gré des mandatures ». Un monde que celui qui a une double casquette d’élu et de chef d’entreprise connaît bien.
Le panel de 24 créateurs qui concourraient cette année est là pour changer la donne, « les jeunes ont la volonté de s’investir dans le privé. La création et la richesse ne viennent pas de l’administration, mais de l’entreprise. Mais il faut faire en sorte qu’ils restent à Mayotte. Je leur demande de résister au contexte difficile de l’île, tout le monde n’a pas forcément compris l’importance de votre entreprise. »
« Arrêtez de fermer les routes ! »
Un autre élu, Ben Issa Ousseni, en charge des finances du Département, également chef d’entreprise, en remettait une couche en s’adressant aux éventuels manifestants, « si vous pouviez faire en sorte d’arrêter de fermer les routes et de faire grève ! », puis aux municipalités, dont Mamoudzou, « si vous pouviez payer vos factures à temps ! »
Un tapis rouge pour Jacques Launay, Directeur du pôle Entreprises, Emploi et économie à la Direction du Travail (Dieccte) : « Mayotte est une terre de talents, mais tous ne peuvent pas s’exercer à cause des aléas locaux. Il aurait fallu il y a bien longtemps mettre en avant la formation. »
Tout ayant été dit sur le contexte local, la cérémonie de remise pouvait commencer. Trois catégories sont représentées à Mayotte, le Commerce, les Services et l’Artisanat, qui récompense chacune la Femme entrepreneur, le prix spécial du jury, et le Prix du lauréat régional. Ces derniers partiront défendre les couleurs de Mayotte lors de la finale du Concours Talent national à Paris les 28 et 29 septembre. Comme l’avait fait Tanchiki Maoré en 2013, qui avait réussi l’exploit d’être le lauréat national du Talent Développement pour sa société de vidange MAP (camions roses).
Plus d’un an de travaux pour la Baie des Tortues
Les trois lauréats sont Yasmine et Jean-Marie Ronquy, dans la catégorie Commerce, pour leur reprise de l’établissement hôtelier sous le label « Djimwa, La baie des Tortues », Moustoifa Imrane dans la catégorie Services, pour « Somabahari », une entreprise de bateau école, et Anli Julien, dans la catégorie Artisanat, pour « 3DECOUPE ».
Jean-Marie et Yasmine Ronquy n’en sont qu’aux prémices d’un projet accompagné par la Chambre de Commerce et d’Industrie (CCI). A son apogée, la déco irréprochable et les bungalows de l’établissement « La baie des Tortues » accueillaient les touristes en bord de plage à Bouéni. Depuis, le précédent couple a tout laissé en plan, l’Autorisation d’Occupation Temporaire (AOT) a été retiré en 2013, et le site se dégradait.
Il fallait donc de nouveau se pencher sur l’administratif, « nous avons obtenu un bail emphytéotique* en mars 2017, et le permis de construire dans la foulée, en avril. » L’enquête publique a été bouclée le 10 septembre dernier, « nous pouvons donc commencer les travaux qui dureront de 11 à 16 mois ». Le projet « Djimwa la baie des Tortues » porte sur 9 bungalows de de 14 chambres, au centre d’une parcelle à végétaliser : espace salon, terrasse, connexion internet, mini bar, coffre-fort, lit d’appoint, dont un bungalow équipé pour personne à Mobilité Réduite. Le tout dans une activité écotouristique.
« C’est le plus beau des bateaux »
Un des rares mahorais à se lancer dans une activité touristique maritime, Moustoifa Imrane, est accompagné par le Cabinet Mahorais de Conseil. Avec « SOMABAHARI », il forme aux permis côtier, hauturier, et au certificat de radio restreint. Il propose aussi la location et le transport de personnes pour la chasse sous-marine et la pêche sportive. Parallèlement à son activité, il fait aussi de la sensibilisation écologique pour le respect du milieu naturel marin. Reprenant l’expression de Jacques Launay, il lançait « Mayotte, c’est surtout une terre de passionnés ! »
Le 3ème à prendre son billet pour Paris, c’est Anli Julien, qui est accompagné par Créa-pépites, pour son activité « 3DECOUPE », qui propose des services numériques de découpe, gravure et sculpture. Les créations peuvent être réalisées sur différents matériaux tels que l’acier, l’aluminium, l’inox, le bois massif (et ses dérivés), le PVC, le plastique et le Plexiglas.
Emotions
Un prix de 3.000 euros est attribué à chacun, ainsi qu’une formation de conseil en management par Géosse, un an de campagne publicitaire sur Kwezi TV, ainsi que chez Somapresse et Karibou Magazine, et un coffret cadeau de Madora.
D’autres prix étaient attribués grâce aux partenaires, notamment le Dieccte, le conseil départemental, la CCI, la CDC, la BFC OI la BRED, la Banque Populaire, le Crédit Agricole, Adie. Les femmes entrepreneuses ont été récompensées, Djaïlani Fatima, très émue, pour « La bonne assiette » à Chiconi, et Marienou Abdou, pour MAHAFOR. Les prix spéciaux du jury, couronnaient dans chaque catégorie, Daourina Moussa pour l’épicerie SUZ-A à M’roalé, Hamada Affidou, mécanicien à domicile, pour Maore 360**, et Cyril Marachi, électricité générale. Avec un prix coup de cœur pour Elec Events, décoration électrique dans l’évènementiel.
Anne Perzo-Lafond
Lejournaldemayotte.com
* Bail de longue durée, d’au moins 18 ans et d’au plus 99 ans
** 0639 65 50 50