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vendredi 3 mai 2024
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Tribune : « Les dessous de la crise sociale mahoraise », ou comment l’Etat comorien se sert

L’inquiétude des Mahorais sur l’évolution de leur statut est notamment orchestrée depuis Moroni, selon l’ancien conseiller départemental de Mayotte Issihaka Abdillah. Avec un seul enjeu pour son chef d’Etat, se maintenir au pouvoir. Comme l’avait tenté avant lui Sambi.

« Depuis la nuit des temps, l’histoire de Mayotte n’a jamais été un fleuve tranquille. Des événements troubles et tragiques ont accompagné son évolution prenant différentes formes: politiques, sociales, économiques ou identitaires. Au fil du temps, les crises qui se sont succédées ont mis en exergue différentes revendications mais principalement politiques, et en ligne de mire « la départementalisation de Mayotte ». La crise de mars 2018 au demeurant prévisible en a surpris plus d’un de par sa forme et son ampleur. En revanche, elle se distingue des autres événements pour quatre raisons :
* les initiateurs sont jeunes regroupés autour d’associations et de syndicats reléguant aux oubliettes les partis politiques locaux.
* la couverture médiatique était exceptionnelle. La presse nationale a déployé des moyens de couverture sans précédent et en a fait ses choux gras.
* les leaders des partis politiques nationaux sont intervenus pour défendre la cause de Mayotte,
* elle occasionne une crise diplomatique entre l’Union des Comores et la France, vraisemblablement la plus longue et virulente que les deux pays n’aient jamais connu.
Cette crise est aussi différente des autres car elle est un condensé de plusieurs revendications: politiques, sociales, économiques mais surtout identitaires. À écouter le citoyen lambda, le Mahorais a l’impression d’être envahi. La peur d’être remplacé par un peuplement venu d’ailleurs est présente dans les esprits. Le député Mansour Kamardine avait sonné la charge, il y a quelques mois en évoquant le remplacement du peuple Mahorais par un autre. Il a été traité de « prophète de mauvais augure ». Madame la Ministre des outre-mer a ensuite surenchéri lors de sa dernière visite à Mayotte en déclarant que la moitié de la population de Mayotte était d’origine étrangère. Un chiffre qui fait froid dans le dos.

Aucun pays, aucun territoire ne peut supporter une telle pression dixit le leader de la France Insoumise Jean-Luc Mélenchon lors d’une intervention à l’assemblée nationale. Il est acquis que tout le monde pense la même chose y compris les bons samaritains. Comme la patience, l’humanisme a eu ses limites. Notre générosité légendaire est mise à rude épreuve depuis des années. L’extrémisme dormant en nous s’est soudainement réveillé. Notre instinct de survie refait surface et pour cause, aucun de nous ne se sent plus chez lui.

Silence de la communauté internationale

Issihaka Abdillah

De l’autre côté de l’océan, le Président de l’Union des Comores Azali Assoumani joue une autre partition. Il souhaiterait se maintenir au pouvoir au delà de son mandat au mépris des dispositions constitutionnelles de son pays. Le manège a commencé depuis un bon moment sous couvert des Assises nationales des Comores mais le consensus n’a pas été au rendez-vous. Un référendum constitutionnel, une des recommandations des Assises est annoncé pour le mois de juillet 2018 en vue de la modification de la constitution comorienne de 2001 malgré la désapprobation de l’opposition comorienne. Le Colonel président enterre ainsi les accords-cadres de Fomboni du 17 février 2001, fruit d’un long processus de réconciliation nationale après le séparatisme anjouanais et dont la communauté internationale est le garant. L’issue de référendum est connue d’avance et le président annonce dans la foulée des élections présidentielles anticipées courant 2019.

La France et la communauté internationale observent ou laissent faire. Et ironie du sort, la crise sociale mahoraise va voler au secours du président Azali. Voici la chronologie des événements annonciateurs.

Il va d’abord commencer par refuser d’accueillir les comoriens en situation irrégulière expulsés de Mayotte et engage un bras de fer avec la France. Son sbire de ministre des affaires étrangères entre alors en scène maniant avec une certaine virtuosité la langue de vipère. Le 11 mars 2018, il reçoit en visite officielle le Secrétaire d’Etat auprès du ministère des affaires étrangères français à Moroni. Le 12 avril 2018, le Président Azali Assoumani suspend la cour constitutionnelle des Comores, seule institution rempart pouvant lui faire obstacle, un vrai « Coup d’Etat » qui ne dit pas son nom est organisé. La France et la communauté internationale passent sous silence l’événement.

Une « tournante » figée

Une tournante entre 3 îles, Mayotte étant considérée comme “occupée”

Pour rappel, Azali est élu président de l’union des Comores en 2016 pour un mandat de 5 ans non renouvelable selon la constitution comorienne, « tournante » oblige. Il ambitionnerait de s’y maintenir au delà de 2021, date du terme de son mandat en cours. Il aura grandement besoin du soutien de la communauté internationale et de la France en particulier. Sur le coup, l’Union africaine est muette car beaucoup de chefs d’état du continent rêve d’en faire autant. « Petits meurtres entre amis », quand vous nous tenez !

Le 13 avril 2018, le bateau Citadelle achemine une centaine de clandestins expulsés de Mayotte. Le régime fait un pas pour montrer sa bonne foi. En échange, la diplomatie française se garde de toute déclaration au sujet du « coup d’état institutionnel. » La gendarmerie comorienne à Anjouan reçoit l’ordre de quadriller le port de Mutsamudu sur un rayon de 1000 mètres et éviter ainsi que des badauds captent des images des clandestins à la descente du bateau. L’opération est presque passée sous silence. À Mayotte, la presse titre dans ses éditions : « reprise timide des expulsions vers Anjouan ».

Le 19 avril 2018, le Ministre comorien des affaires étrangères est reçu au Quai d’Orsay. À sa sortie, la partie comorienne déclare en substance dans un communiqué de presse: « Les deux ministres ont passé en revue les questions bilatérales d’intérêt commun notamment la situation générée par la crise sociale à Mayotte, conséquence de la non résolution du contentieux territorial opposant les deux pays. » C’est la formule consacrée en pareille situation sauf à se méprendre.

Un référendum « toxique » et couteux

La résidence de la présidence Beit Salam à Moroni

Dans l’indifférence totale, le régime tisse sa toile en utilisant ses propres ressortissants comme boucliers ou objets de troc en vue de son maintien au pouvoir. Azali n’a cure de la vie de ses citoyens. Plus qu’il aura des comoriens à Mayotte peu importe leurs conditions de vie, mieux va se porter le régime. Pour preuve, le ministre des affaires étrangères réclame 650€ par personne expulsée. La diplomatie française s’emploie et se déploie pour sortir de l’impasse. Mais l’intérêt de la partie comorienne est ailleurs et se conjugue en 2021 voire avant. Azali rêve de pouvoir prolonger son mandat. La caution de La France est indispensable pour faire aboutir la supercherie. Tous les coups sont permis. La diplomatie française ne fléchit pas jusqu’à maintenant et cela indispose le régime de Moroni. Toutefois, la route est libre maintenant pour le colonel et les signaux de son maintien anticipé au pouvoir sont verts. C’est encore mieux. La durée de son prochain mandat pourrait être d’au moins 9 ans selon les indiscrétions.

L’opposition en exil en France parle d’un « référendum toxique » et demande aux comoriens de l’intérieur de se rebeller pacifiquement. La France et la communauté internationale sont stoïques. Le colonel surfe sur la crise sociale mahoraise pour avancer. L’organisation des deux scrutins nationaux sur un intervalle d’à peine un an exige des moyens financiers colossaux. Le président colonel attend à la fois la caution de la communauté internationale et les moyens financiers nécessaires à l’organisation de ces élections. La crise sociale mahoraise est dans la balance et la vie des centaines des comoriens en situation irrégulière à Mayotte exhibée en objet de troc.

Pendant ce temps à Mayotte, l’Etat déploie ses moyens de lutte contre l’insécurité et l’immigration clandestine, un des points de revendications de la plateforme des initiateurs du mouvement social. Les marchands de sommeil sont poursuivis. Les branchements d’électricité sauvages sont coupés et les auteurs devront répondre devant la justice. Des réseaux d’aide à l’entrée et au séjour des clandestins sont démantelés. L’appareil de l’Etat se déploie petit à petit mettant en scène quelques opérations spectaculaires fortement médiatisées. L’Etat prend enfin ses responsabilités et commence à respecter une partie de ses engagements, est-il permis de penser.

Nous avons demandé plus d’Etat et nous sommes servis. Et l’on s’étonne. On fait mine de ne pas comprendre. Alors que depuis très longtemps, nous avons créé des droits pour les belles clandestines, les bons clandestins (des Comores et d’ailleurs) en leur offrant terre et terrain, gîte et couvert, travail et emploi, amour et désamour, école et hôpital au nom de l’hospitalité. Conséquence, les effectifs scolaires explosent d’année en année, les hôpitaux sont bondés et les bidonvilles fleurissent. Nos champs, nos maisons sont occupés. Et seulement 40% des naissances à la maternité sont déclarées par un père français. À ce rythme, le Mahorais aura disparu à l’horizon 2041, année du bicentenaire de la présence française à Mayotte. Nous sommes tous complices implicitement pour certains et actifs pour d’autres.

Libre circulation vers la France

Constructions anarchiques de cases en tôle

Nous avons longtemps fermé les yeux parce que l’immigration clandestine nous arrangeait tous parfois de façon belliqueuse. Et toutes les communautés de notre société sont impliquées. La naïveté collective a eu raison de notre supposée hospitalité légendaire. Nous aurons nous-mêmes amorcé notre propre disparition car un jour non lointain viendra par le jeu politique: « toilettage institutionnel » mal maîtrisé, ou autre invention diplomatique du style: « communauté de l’archipel », ou encore une décision administrative «  régularisation à une échelle quasi industrielle des clandestins », nous remettrons les clés de notre encrage dans la France.

Ce n’est pas non plus la nouvelle loi « Asile et immigration » qui va arranger les affaires de l’île en faisant part belle au regroupement familial. Dans moins de deux décennies, le corps électoral du territoire sera un patchwork suffisamment et savamment constitué pour faire basculer chaque élection, chaque consultation et chaque résultat électoral. Alors dur sera le réveil. Nous serons artisans de notre propre disparition et assisterons impuissants à notre remplacement. Le processus est engagé depuis longtemps et la migration vers Mayotte n’est pas prête de s’arrêter, sans une solution pérenne entre la France et l’Union des Comores.

Plusieurs pistes non exhaustives au niveau multilatéral, bilatéral et local peuvent être envisagées:
* Au plan multilatéral, la France et la communauté internationale laissent libre cours à Azali pour modifier sa constitution. Après tout, les Comores sont un État souverain et c’est aux comoriens de décider de leur destin. En échange, le colonel lève son véto en vue de faciliter le retour des clandestins expulsés de Mayotte.
* Au plan bilatéral la France signe un accord de libre circulation des biens et des personnes avec les Comores. Cet accord est exclusif entre la France métropole et les Comores. L’entrée des comoriens dans les DOM sera soumise à un visa. Eu égard à l’étendue du territoire et à la solidité de son économie, le territoire métropolitain est en mesure d’absorber le flux migratoire en provenance des Comores. On dénombre selon les sources 370.000 comoriens vivant en France métropolitaine. L’application des dispositions de la nouvelle loi « Asile et Immigration » aura tout son intérêt et prendra sens notamment dans sa partie « regroupement familial ».
* Au plan local, les maires doivent maîtriser les effectifs scolaires. Les soins hospitaliers redeviennent payants pour toute personne non couverte par la sécurité sociale. Les habitations de fortune sont systématiquement démolies et les « facilitateurs » poursuivis.
Mayotte, plaque tournante dans la sous-région vit un tournant décisif de son histoire. Le peuple Mahorais sort à peine d’une longue lutte pour son accession au statut de département que d’autres obstacles se dressent déjà sur son chemin. Est-ce la fin d’un combat ou celle des illusions d’un peuple valeureux qui a choisi son destin en combattant le cours de l’histoire forcée?

Issihaka ABDILLAH

Anne Perzohttps://lejournaldemayotte.yt
Anne PERZO Le journal de Mayotte https://lejournaldemayotte.yt

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