La situation de pénurie d’eau que l’île a traversée début 2017, privant les habitants du sud d’eau courante deux jours sur trois, a fait toucher du doigt urgence de protéger cette ressource vitale. Pendant la saison des pluies, ce sont les captages en rivière qui nous alimentent. Et les rivières situées sur les bassins versants des retenues collinaires les approvisionnent, permettant de compter sur ces réserves en saison sèche. C’est dire leur importance.
L’outil de gestion global, c’est le Schéma Directeur d’Aménagement et de gestion des Eaux (SDAGE), que va intégrer le Schéma d’entretien et de restauration des rivières de Mayotte, écrit à plusieurs mains avec les contribution du séminaire qui se tenait ce mercredi 27 juin. Il va permettre un « état des lieux concret et la mise en évidence des enjeux », expliquait Raïssa Andhum, conseillère départementale chargée de l’Aménagement et du Développement durable, et surtout de savoir « qui fait quoi », soulignait Joël Duranton, le directeur de la DEAL (Direction de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement), pour « ne plus revivre la crise de l’eau de 2017 », complétait Anchya Bamana, maire de Sada, et Présidente du Comité de l’eau et de la biodiversité.
Un cours d’eau se caractérise par plusieurs données, son débit qui va transporter des sédiments, qui vont constituer son habitat où va se nicher une biodiversité. Ce qui implique de différencier le lit de la rivière des berges. Le premier relève de la compétence du conseil départemental, à Mayotte, les secondes, du propriétaire du terrain sur lequel passe le cours d’eau.
Après un état des lieux bouclé en avril dernier, ce sont 17 cours d’eau qui ont été retenus pour leur importance stratégique en terme d’usage ou de risques d’inondation, et qui feront donc l’objet d’un entretien. Mais par qui ? « A Mayotte, le conseil départemental en a la charge, et a l’obligation de l’entretien régulier des cours d’eau », explique Philippe Marc, avocat au barreau de Toulouse, spécialise du droit de l’eau. Mais en cas de dépôt des déchets, la compétence de verbaliser « relève des pouvoirs de police du maire ou du préfet. Lorsqu’on a identifié l’auteur des déversements, et en cas de carence des pouvoirs de police, on se retourne donc vers le propriétaire du cours d’eau, donc le conseil départemental ici. »
Les maires broient du noir avec l’or bleu
A Mayotte, le Département règne sur un vaste domaine aquatique, puisqu’il est propriétaire des eaux stagnantes et courantes, pluviales, de tous les cours d’eau, des sources, des eaux souterraines, et cela, même si les uns ou les autres se trouvent dans des propriétés privées. Ce qui en complexifie l’accès.
Mais la loi NOTRe, qui a transféré beaucoup de compétence vers les communautés d’agglomérations et communautés de communes, s’applique aussi dans ce secteur, guidé par une logique : face aux inondations de ces dernières années dans l’Hexagone, le législateur a souhaité responsabiliser les élus locaux en créant la GEstion des Milieux Aquatiques et la Prévention des Inondation (GEMAPI), c’est à dire d’imposer aux élus locaux l’aménagement de bassins hydrographiques, l’entretien de cours d’eau, etc.
Un « cadeau » dont se seraient bien passé les maires qui ont tenté de repousser sur le plan national plus d’une fois cette mesure, se plaignant de n’avoir pas les moyens d’exercer cette charge, l’Association des Maires de France pointait même un « désengagement de l’Etat ».
Les contribuables entretiendront les rivières
A Mayotte, la situation est pire. Dans les autre Départements d’Outre-mer, lorsque le cours d’eau était domanial, l’État assumait l’obligation d’entretien du lit de la rivière, à l’exception de l’entretien des berges qui incombent aux riverains. Sur notre territoire c’est le Département qui en avait la charge, avec des manques de moyens criants, et une police de l’eau qui n’a pas fait son travail.
Se pose donc un double problème : non seulement les interco vont hériter de rivières polluées par les déchets et les lessives intempestives, mais en plus, elles n’auront pas de moyens dédiés. Comme le faisait remarquer l’homme de loi, il s’agit d’une création de compétence, et non d’un transfert… l’Etat économise ainsi les compensations financières. Il a même invité les présidents d’intercommunalités à mettre en place une fiscalité dédiée, la taxe GEMAPI*. Ce sont donc les administrés solvables qui vont supporter la remise en état et l’entretien des rivières, et on le sait, à Mayotte, l’assiette fiscale est étroite. Décidemment, les pollueurs ne sont pas les payeurs… Les représentants de la communauté d’agglomération CADEMA faisaient part de leurs inquiétudes.
La solution pour Me Marc, c’est de « faire constater que Mayotte était dans un régime dérogatoire par rapport aux autres DOM puisque le propriétaire était le Département, et non l’Etat, et lancer un débat législatif afin d’obtenir des moyens dédiés. »
Pour les élus qui veulent approfondir la question dont ils doivent saisir de toute urgence les parlementaires, rendez-vous est donné en mairie de Mamoudzou ce jeudi 28 juin.
Anne Perzo-Lafond
Lejournaldemayotte.com
* Pour permettre aux élus d’exercer cette responsabilité et faire face à ces nouvelles dépenses, la loi a ouvert la possibilité aux communautés de communes et d’agglomération de lever un impôt local, la taxe GEMAPI, exclusivement affecté destinée à protéger les biens et les personnes, prévenir contre les inondations, préserver la qualité de l’eau.
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