C’est un coup de poker que vient de jouer le tribunal de Mamoudzou. A la fois incertain et nécessaire, mais surtout lourd de conséquences.
Depuis plusieurs années maintenant, on connaît bien à Mayotte les “audiences look-like”. Des journées entières que les juges passent à étudier des affaires quasiment identiques liées à l’immigration clandestine. Le scénario est toujours le même : un étranger en situation irrégulière achète un billet d’avion en usant d’une pièce d’identité authentique mais appartenant à un tiers, et tente d’embarquer avec ce document qui n’est pas le sien, en espérant ressembler assez au détenteur légitime pour parvenir à monter à bord.
Mais les agents sont particulièrement vigilants, et au moindre doute, ils réclament une deuxième pièce d’identité, et placent au besoin le voyageur en garde à vue. C’est ce qui s’est passé notamment le 29 octobre dernier à l’aéroport de Mayotte. Deux passagères ont utilisé un passeport d’une autre personne pour tenter de s’envoler vers Paris.
Comme des centaines d’autres avant elles, elles ont été poursuivies pour “escroquerie”. En effet, si le préjudice direct pour la compagnie aérienne reste sujet à discussion, d’autant que le prix du billet d’avion, une fois payé, n’est pas remboursé aux fraudeurs présumés. La compagnie ne perd donc pas d’argent, « les poursuites (…) retiennent que les agissements des prévenues ont mis la compagnie en infraction avec ses obligations » notamment les articles L232-1 et suivants du Code de la Sécurité aérienne indique le magistrat en charge de l’affaire, Daniel Rodriguez.
Ce dernier s’interroge donc :
« L’infraction d’escroquerie, pour être constituée, suppose-t-elle qu’un préjudice actuel et certain soit établi ? Une compagnie aérienne peut-elle se prévaloir d’un préjudice actuel et certain en embarquant après lui avoir délivré un titre de transport (contre paiement) un passager utilisant une fausse identité. »
Cette question, contre l’avis du parquet, a été transmise à la Cour de Cassation qui devra désormais donner son avis. Celui-ci déterminera l’avenir de toutes les affaires à venir et pourrait bien obliger les juristes à trouver d’autres outils pour poursuivre les personnes qui tentent ainsi de se faire passer pour d’autres.
Y.D.
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