Le thème de la table ronde qui réunissait des pointures ce mercredi, les interpellait : « Les standards nationaux sont-ils applicables à Mayotte ? ». Les statuts de Jean-Pierre Rosenczveig, Président du Tribunal pour Enfants de Bobigny, de Pierre Verdier, avocat au barreau de Paris, de Patrick Bonfils, directeur de la DJSCS qui représentait la préfecture de Mayotte, de Nathalie Zahi, vice-présidente en charge des fonctions de juge des enfants au TGI de Mamoudzou, où officie aussi Sébastien Lombardi, Juge des enfants, et de Fabienne Quiriau, directrice générale de la CNAPE*, ne les autorisaient à répondre que par l’affirmative.
Dès lors, se posait la question en écho, que formulait Sébastien Lombardi : « Pourquoi nous pose-t-on une telle question, à nous qui sommes les représentants des standards nationaux ?! » Une volonté du conseil départemental de les interpeller sur les difficultés d’application de la loi. « C’est un peu tôt pour se poser cette question, tant que tous les moyens alloués aux autres départements ne sont pas mis en place », analysait en préambule le juge. Même s’il concédait une montée en puissance de la protection de l’enfance à Mayotte.
Mais une question décelait-il, qui sous-entend la mise en avant d’une exception culturelle, « celle de l’immigration. Préservez-vous de vous poser cette question politique, laissez-la à l’Etat ! » Mais une problématique à double face. Celle de la prise en charge des enfants d’abord. « Nous, juges des enfants, nous ne prenons pas en considération la nationalité des enfants ». Le directeur de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) du Département, Antoissi Abdou Lihariti, lui répondait en écho, « un enfant est partout chez nous », sous entendant que ses services ne font pas de distinguo. On ne peut qu’espérer que cela soit la réalité, faute de provoquer davantage d’isolement et donc de bascule dans la délinquance.
Un Copil de la protection de l’enfance
L’autre face, celle qui sous-tend la question du débat et même de ces rencontres, c’est celle de l’absence sur le territoire des familles dont beaucoup sont à Anjouan, « nous n’avons pas de parents sur lesquels s’appuyer », se plaint l’ASE. Une remarque à laquelle le juge faisait droit, « c’est un gros problème. Certaines familles que nous avons contactées aux Comores ne souhaitent pas reprendre leur enfant que nous suivons ! »
Un échange qui souligne l’utilité d’une action mise en place à Bobigny, signale Jean-Pierre Rosenczveig : « Il faut créer des lieux et des temps d’échange entre acteurs de la protection de l’enfance, on s’engueule ou on se félicite, mais autour d’une expertise partagée de la situation. » Une espèce de Comité de pilotage de la protection de l’enfance. « Car il faut que chaque maillon fonctionne, c’est choquant que la justice soit le premier interlocuteur de l’enfant. Il faut mettre en avant la Protection Maternelle et Infantile. »
Il se disait résolument optimiste, d’abord parce que « en France, il y avait en 1900, 150.000 pupilles pour 40 millions d’habitants, et qu’en 2018, le chiffre n’est plus que de 2.300 pour 66 millions d’habitants, les mesures sont donc porteuses », ensuite, parce qu’il faut relativiser, « les normes nationales et internationales à atteindre, c’est à dire zéro enfant en souffrance, sont des utopies, on ne les atteindra pas, mais elles nous guident et nous donnent un cap ». Par exemple, en métropole, « il faut 18 mois pour attribuer une mesure de placement et les services sont ‘embolisés’ », faisait remarquer Sébastien Lombardi.
« On a du mal à remettre l’enfant sur pied »
Celle qui a travaillé avec le ministre de la Famille Philippe Bas en faisant adopter la réforme de la protection de l’enfance en 2007, qui mettait l’intérêt de l’enfant avant tout, Fabienne Quiriau, ne dit pas autre chose : « Il n’y a pas de normes, mais une réponse appropriée à chaque enfant : comment faire pour qu’il aille mieux. Avec les moyens du bord, on peut proposer une protection suffisante. » Pour cela, il faut avoir de l’ambition dans les politiques publiques portées par les élus : « On ne peut pas faire porter la loi par les acteurs de terrain sans qu’une vision politique de long cours soit définie. » Tout en saluant un Schéma Départemental de l’Enfance « réaliste », qui « nomme les problèmes, et fixe les priorités. »
Jusqu’à il y a deux ans, en dehors des grosses associations, comme Mlézi Maoré (ex-Tama), Apprentis d’Auteuil, Secours Catholique, il n’y avait pas de protection de l’enfance départementale à Mayotte, « d’où l’impression pour les acteurs d’arriver sur une situation dégradée, ‘on a du mal à remettre l’enfant sur pied’, entend-on, mais il faut refuser cette fatalité », enjoignait Fabienne Quiriau. Elle précisait que le « droit de l’enfant » ne s’oppose pas au « droit des familles », « il s’agit de donner le meilleur sort possible à l’enfant. »
« Être convaincu des droits de l’enfant »
Le contexte de pauvreté locale et régionale n’aide pas, « il ne faut pas le sous-estimer », ce qui ramène à la situation des familles délocalisées, absentes du territoire.
Pas de solution miracle pour Jean-Pierre Rosenczveig, « les professionnels de l’action sociale sont obligés de bricoler des réponses, c’est de la responsabilité à la fois de l’Etat, des collectivités et des associations ».
De territoire en attente de solutions, Mayotte pourrait donc servir de référence si elle arrive à trouver des pistes pour initier ce rapprochement familial. D’autant que, « en métropole, la présence de mineurs étrangers isolés sont révélateurs des tensions actuelles. »
Si en réponse à la question du débat, « Les standards nationaux sont-ils applicables à Mayotte ? », on a vu que des solutions adaptées étaient les bienvenues, et qu’il ne fallait pas hésiter à ‘bricoler’, Fabienne Quiriau appelait par contre à arrêter de douter, « l’ambition est importante. Il faut être convaincu de la bonne raison d’être de ce droit de protection de l’enfant. »
Ce jeudi en débat dès 8h30 au CUFR de Dembéni, les spécificités outre-mer et la parentalité.
Anne Perzo-Lafond
* Convention Nationale des Associations de Protection de l’Enfant
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