C’est une célèbre mathématicienne qui était au CUFR de Dembéni ce mardi 2 avril, pour une conférence aux étudiants en master MEEF, Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation, et aux licences de maths. Moins absconse que son intitulé, « Réformes curriculaires récentes : une perspective internationale », la conférence de la mathématicienne Michèle Artigue, se tenait à l’invitation de Laurent Souchard, Inspecteur d’Académie-IPR de maths.
Professeur d’université émérite à l’Université Paris-Diderot, spécialisée en didactique, Michèle Artigue avait lors de ses études, été reçue 1re ex-aequo à l’agrégation de mathématiques (concours féminin) en 1969. Ses travaux de recherche aux termes complexes de relations entre épistémologie et didactique, l’amènent à être impliquée dans divers projets européens et dans la publication d’une quinzaine d’ouvrages.
Au sujet de la réforme menée par le ministre Blanquer, avec notamment la fin des filières classiques, S, ES, L, le constat est sans appel (et peut-être prometteur !), « il n’y a pas eu de telle réforme des maths depuis les années 60, lorsque sont arrivées les maths modernes. Il s’agit d’une réforme de contenu et de structure. »
En comparant les méthodes utilisées par différents pays, détaillées par une étude de l’ICMI (Commission Internationale de l’Enseignement Mathématique), à laquelle elle collabore, la mathématicienne va donner les pistes de réussite, et les écueils à éviter.
Les proba, pratiquement dès le biberon
Si certains s’en sortent mieux que d’autres, gardons nous de regarder ailleurs d’un œil envieux, notamment les élèves asiatiques en cherchant à épouser leur méthode, en particulier « la méthode de Singapour qui a les faveurs du ministre Blanquer ». Car, « on ne peut pas emprunter une réforme à un autre pays, ça ne marche pas. » Elle étaye ses propos d’un exemple : « Les lycéens chinois travaillent jusqu’à 5 heures chez eux après les cours. Car ils sont dans une logique de pression dès l’école primaire de réussite au concours. Et la tradition Confucéenne imprègne l’enseignement. »
Les réformes qui réussissent tiennent compte de plusieurs données : du passé, « depuis très longtemps, en Hongrie, on démarre tous les domaines dans les premières année, algèbre, statistiques, etc, pour acquérir une méthode de réflexion », mais aussi des recherches menées.
Alors que l’Allemagne ou les Etats-Unis prônent l’autonomie, « un Etat peut choisir d’appliquer ou pas un pan de la réforme », la tendance est de vouloir calquer ce qui se fait en France, « c’est à dire des programmes standards. » La différenciation par contre est « de plus en plus mal vue », c’est à dire la séparation filières technologiques et générales avec la classe d’élite de S, « désormais, on peut choisir ou pas de prendre la spécialité math en première en France. »
L’accent est mis sur les probabilités et les statistiques, « dans l’idée de faire des citoyens éclairés », avec un enseignement dès la 5ème en France, dès le primaire en Angleterre ».
Après avoir préparé un gâteau, il faut savoir le faire cuire
L’une des garanties de bonne compréhension est donnée par l’interdisciplinarité, qui permet de jongler entre les matières, en appliquant par exemple les maths à un sujet d’environnement. La France rattrape son retard dans ce domaine, « en Allemagne, les enseignants de collège sont bi-disciplinaires. »
Les pratiques pédagogiques sont très belles sur le papier, « depuis 20 ans, c’est le même type de discours : on parle de la place à donner à l’élève, au rôle constructif de l’erreur. Mais il y a un gros décalage dans la pratique, chez nous comme chez les autres. » De fait, sur la pédagogie inclusive, qui incite à ne laisser aucun élève sur le bord du chemin et à prendre en compte la dimension affective de l’enseignement, « la France est loin d’être en pointe. De même que l’attention portée aux différences de culture et linguistique, on a à apprendre de ce qui se fait ailleurs. »
On prépare, on prépare, mais on ne s’assure pas du suivi des réformes, déplore Michèle Artigue : « On pense que l’intendance va suivre, or il faut accompagner dans la durée, pas seulement au moment de la réforme ». Attention à la dualité contenu-compétence : « En France, le plus important, c’est le contenu, mais il faut aussi savoir développer les compétences chez l’élève. Ça va de pair. Des pays ont voulu mettre le contenu au 2ème plan, l’élève savait ce que voulait dire ‘raisonner’, mais n’avait pas de repère pour fixer l’enseignement. »
Se pose la question de la sécurisation des réformes. « Dans les pays très pauvres comme le Chili ou le Costa Rica, on a préservé la réforme malgré des changements politiques d’envergure ». Les champions semblent être les Japonais : « Ils mènent non pas des réformes, mais des régulations. Pendant 5 ans, ils récupèrent des données de la précédente évolution, et pendant 5 ans on prépare la suivante, avec l’accompagnement des enseignants. »
C’est sur une sensation d’une évolution vers l’humain, que concluait Michèle Artigue : « L’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, va dans une nouvelle direction, en demandant que les étudiants développent leur imagination, fassent preuve de résilience, respectent les valeurs des autres, et surtout, ‘qu’ils sachent accepter l’échec, le rejet, pour apprendre à le surmonter et à avancer face à l’adversité’. » Et ça n’est pas fini, « il est rajouté que ‘l’objectif soit autre que de décrocher un bon travail ou de gagner de l’argent, mais qu’ils aient le souci de leur famille et de l’avenir de la planète’. C’est peu habituel chez eux ! »
Anne Perzo-Lafond
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