Depuis un an, le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) est sur les dents. Il fait face à un phénomène autant passionnant qu’inquiétant pour la population : des séismes de plus ou moins forte intensité, secouent quotidiennement Mayotte, qu’il qualifie de « phénomène sismique en essaim, sans précédent dans la région ». Et pas seulement pour la région puisque depuis, des scientifiques du monde entier, observent le phénomène.
Dans un article publié en novembre 2018, le prestigieux National Geographic rapportait les interrogations des chercheurs « du monde entier » sur de mystérieuses ondes sismiques qui se sont répandues à travers le monde le 11 novembre 2018, parties d’une zone à 25km au large de Mayotte.
Localisé à 35-60 km à l’Est de Mamoudzou, le BRGM comptait au 30 avril : 1.852 séismes de magnitude supérieure à 3.5, 524 séismes de magnitude supérieure à 4.0, 31 séismes de magnitude supérieure à 5.0. Une magnitude maximale 5,8 a été atteinte le 15 mai 2018, ce qui constitue un maximum dans la région, selon les données historiques disponibles. Ce matin vers 6h, la magnitude était de 4,3, nous informe le BRGM.
Il publie ce vendredi, une jolie carte multicolore, très parlante (voir ci-dessus). On y voit deux zones de localisation, à l’est de Mayotte. Les séismes les plus anciens de juin-juillet 2018 en bleu foncé-mauve, étaient plus éloignés de Mayotte, tandis qu’à partir d’août 2018, en bleu ciel-vert, sont apparus des séismes plus proches de l’île, à l’ouest de l’essaim. C’est dans cette même zone que se produisent actuellement les origines des séismes, en jaune-orangé, « mais une activité persiste néanmoins dans la zone la plus à l’est », complète pour le JDM Frédéric Tronel, directeur BRGM.
Tectonique ou volcanique… on coche les deux cases
Les séismes s’accompagnent d’une autre constatation : « Depuis le mois de juillet 2018, l’île s’est déplacée vers l’est et s’est enfoncée d’environ 12 cm ce qui est marquant d’un point de vue purement géologique », rapporte le BRGM.
Ce qui a fait évoluer les interprétations des causes du phénomène. « Initialement attribué à une origine tectonique avec un frottement de plaques, les dernières données recueillies par les experts et la modélisation du phénomène laisseraient désormais penser à une origine volcanique, possiblement liée à une éruption sous-marine de grande ampleur, voire à une origine combinant les deux phénomènes tectonique et volcanique », précise la préfecture de Mayotte.
Face à ce phénomène nouveau, plusieurs interventions ont été engagées, l’apparition de l’essaim sismique ayant surpris la population. Dès le 1er juin 2018, une mission de spécialistes en matière de sécurité civile et de risques naturels est venue en appui des services de l’État afin d’apporter une expertise complémentaire dans l’analyse de la situation et pour la mise en place des outils de communication adéquats. Des consignes de sécurité ont été diffusées à l’ensemble de la population et sont régulièrement rappelées.
La documentation géologique de la zone de l’essaim étant jusqu’alors limitée, la communauté scientifique a du déployer de nouveaux outils pour mieux appréhender ce phénomène. Ainsi dès le début de l’épisode sismo-volcanique, à l’initiative du BRGM, les chercheurs se sont mobilisés pour améliorer la connaissance du phénomène en cours et son évolution. Dans ce contexte, le CNRS (centre national de la recherche scientifique) a coordonné un appel d’offres nommé TelluSMayotte, cofinancé par le ministère de la Transition écologique et solidaire.
Bientôt remontée des premières infos du fond de l’océan
Depuis le mois de février 2019, plusieurs missions à terre et en mer coordonnées par le CNRS, avec le soutien du BRGM, de l’IPGP (Institut de physique du globe de Paris), de l’EOST (école et observatoire des sciences de la terre), de l’IGN (Institut national de l’information géographique et forestière), de l’IFREMER (institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) et du ministère de la Transition écologique et solidaire, s’emploient à faire la lumière sur les mécanismes à l’œuvre, ce qui permettra de mieux estimer les impacts potentiels.
Six sismomètres ont été immergés autour de la zone de l’épicentre, qui vont être relevés lors d’une mission « exceptionnelle » actuellement menée jusqu’au 15 mai par le Marion Dufresne. Les premiers relevés devraient être analysé dès cette date. « Cette mission a pour objectif de préciser la localisation de l’essaim, d’acquérir des données de bathymétrie, de détecter d’éventuelles sorties de fluides ou de gaz qui pourront être prélevées et analysées le cas échéant et enfin d’effectuer des dragages de roche », explique encore la préfecture, « l’analyse de l’ensemble de ces éléments devrait apporter des informations précieuses sur ce phénomène sans précédent. »
Des bâtiments subissent des fissures, et des établissements scolaires avaient du être fermés, certains étayés, au début du phénomène.
Deux chercheurs en sociologie ont mené une étude sur l’essaim de séismes en cours, aboutissant à la conclusion que les autorités doivent mieux prendre en compte le contexte socio-culturel.
Et pour tenter de prendre en peu de hauteur malgré l’enfoncement de l’île… et d’insuffler un peu d’humour, le JDM vous avait même proposé sur le sujet un poisson d’avril, auquel certains avaient trouvé un goût amer…
Les consignes de sécurité, la foire aux questions, les modalités d’observation du bâti restent disponibles sur le site internet de la préfecture.
Anne Perzo-Lafond
Comments are closed.