Comme le traduit son énoncé, le manifeste cherche à convaincre de l’inefficacité auprès des fidèles d’un prêche en langue arabe, peu maitrisée à Mayotte : « La plupart du temps, le sermoneur lui-même ne comprend pas ce qu’il dit, il se contente de lire », nous explique Allaoui Askandari que nous avons contacté. « J’interpelle le conseil cadial pour qu’il ouvre le débat, et donne une orientation ».
Et il donne déjà quelques billes aux cadis qui voudront bien se saisir du sujet. Constatant l’incompréhension des textes du Coran lors des prêches dans la langue liturgique du Livre, qui « freinent le développement des fidèles et cultivent l’abrutissement », il les accuse même d’aller à l’encontre même de la « tradition d’Allah », rapportée dans le Coran qu’il cite : « Et Nous n’avons envoyé de Messager qu’avec la langue de son peuple, afin de les éclairer » (S14V4). Concluant, « retenons ici cette tradition de Dieu qui a toujours envoyé les prophètes avec la langue de leur peuple (qaoum) ». Mieux, selon lui, « Muhammad a demandé à quelques compagnons d’apprendre des langues étrangères en vue de faire parvenir le Message aux peuples non arabes ».
Il a donc tenté de convaincre les imams et cadis que « prêcher en langue arabe auprès de fidèles qui ne comprennent de l’arabe que son alphabet, est non seulement une innovation (bid’a) très grave mais c’est rebeller contre Allah. »
« Voileurs de vérité »
Une idée que certains ont rejeté « avec violence », indique-t-il, prétextant que leurs ancêtres prêchaient déjà en langue arabe. Une attitude de « suivisme dépourvu de clairvoyance », pour l’intellectuel, qu’il identifie aux « voileurs de Vérité (Al-kafiroun), et est « sévèrement condamné par le Dieu des musulmans ».
En réponse, il leur demande d’arrêter de suivre la doctrine de l’imam Ach-Châfi’i prônant ainsi le prêche en arabe, « les gens ne sont devenus ignorants et n’ont divergé entre eux qu’en abandonnant la langue arabe en s’orientant vers la langue d’Aristote ». Une affirmation « politique et subjective », pour Allaoui Askandari qu’il convient d’abandonner, puisque contraire aux écrits du Coran, et conformément à ce que l’imam cité demandait, « Quand je vous dis quelque chose de contradictoire à une tradition du Messager d’Allah (saw), jetez ma parole contre le mur. »
En attendant de mettre l’accent sur l’enseignement de la langue arabe, encore trop timide à Mayotte, on peut se hasarder à dresser un parallèle entre cette forme de prêche dans une langue peu comprise, et celle qui se faisait autrefois en latin dans les églises, n’en déplaise à Brassens, et peu à peu abandonné pour le français.
A Mayotte, selon l’écrivain, seules deux mosquées abritent des prêches en shimaoré, Majicavo et Koungou.
(Lire Manifeste pour un sermon de vendredi en langue locale dans nos mosquées)
Anne Perzo-Lafond