Les quatre prévenus risquaient tous la prison ferme pour aide à l’entrée et au séjour de personnes en situation irrégulière en bande organisée. Une expression à rallonge qui renvoie à l’organisation d’un réseau de passeurs. Deux femmes et deux hommes étaient ainsi poursuivis pour avoir organisé des traversées entre Anjouan et Mayotte de 2015 à 2019. Une de ces traversées avait causé au moins quatre morts lors d’un naufrage en novembre 2015 a révélé l’enquête menée par la BMR, le service d’investigation de la police aux frontières.
Parmi les prévenus, trois étaient placés sous contrôle judiciaire. Le quatrième, soupçonné d’être le chef du réseau, était en détention provisoire depuis le 13 avril. Il était aussi reproché à ce dernier, propriétaire du bateau qui a fait naufrage, d’avoir empêché ses acolytes de prévenir les secours quand il a eu connaissance du drame. De quoi lui faire encourir un total de près de 10 années de détention. Le pilote de la barque n’a, lui, jamais été retrouvé.
Mais des subtilités juridiques ont eu raison de ce qui s’annonçait comme un procès exemplaire.
Pour faire simple, à l’issue de l’enquête, les quatre prévenus ont été convoqués au tribunal dans le cadre d’une procédure dite de comparution différée. A l’inverse de la comparution immédiate, qui impose un procès dans les jours qui suivent la garde à vue, la comparution différée permet de boucler des procédures d’enquête, pour un procès dans les deux mois. En l’occurrence, le parquet souhaitait obtenir des expertises psychologiques des proches des noyés avant l’audience. En attendant le procès, trois prévenus étaient donc placés sous contrôle judiciaire, avec certaines obligations. Le chef présumé lui, était envoyé en détention provisoire.
Deux mois, ou rien
Mais la procédure de comparution différée, créée par une loi de mars 2019, toute récente donc, ne permet pas de prolonger au delà de deux mois les mesures attentatoires aux libertés individuelles. Détention provisoire et contrôles judiciaires ne pouvaient être maintenus au delà du 13 juin. Une disposition qui n’aurait pas posé de problème… à condition que le procès ait lieu.
Or, il est apparu qu’un des prévenus, mais surtout les plaignants dans ce dossiers, principalement des proches des passagers morts noyés, n’avaient pas d’avocat alors qu’ils en avaient demandé. Le tribunal a donc décidé d’un renvoi à fin-août… Et de la levée des trois contrôles judiciaires. La juge Faure a aussi prononcé la libération immédiate du chef présumé de la filière, faisant bondir la procureure Guégan qui n’avait pas été invitée à requérir sur ces mesures de sûreté, comme il est de coutume avant un renvoi.
La nouvelle loi précise en effet que ” Le prévenu doit comparaître devant le tribunal au plus tard dans un délai de deux mois, à défaut de quoi il est mis fin d’office au contrôle judiciaire, à l’assignation à résidence avec surveillance électronique ou à la détention provisoire”. En renvoyant l’affaire, le procès n’a pas eu lieu dans les deux mois, et les mesures sautaient automatiquement.
La conséquence directe, c’est que rien ne garantit désormais que les quatre complices présumés se présenteront à la prochaine audience.
Y.D.