Partant du constat que la biodiversité de l’île part à vau-l’eau, « nous avons perdu 70 hectares de mangrove en une décennie et sur 50.000 makis recensés en 1975, il n’en reste que 10.000, notre biotope est menacé », la vice-présidente du Département Chargée de l’Environnement, Raïssa Adhum, s’est impliquée dans ce que lui autorisait la loi pour la reconquête de la biodiversité du 8 août 2016 : mettre en place, avec l’Agence Française de la Biodiveristé (AFB), une Agence régionale de la Biodiversité (ARB) à Mayotte.
Compétence de la Région, seulement 6 ont déjà été créées en France, Bourgogne-Franche-Comté, Centre-Val de Loire, Occitanie, Bretagne, Normandie et Provence-Alpes-Cote d’Azur. D’autres sont en cours. Mayotte en fait partie, qui a lancé ce mercredi son premier comité de pilotage de préfiguration de mise en place d’une ARB, « dans deux ou trois ans, le temps de répertorier l’ensemble des acteurs, et qu’ils se répartissent les priorités que vous aurez hiérarchisées », explique Emmanuel Thévenin, représentant de l’Agence Française de Biodiversité.
Une Agence Régionale de la Biodiversité a les missions qu’elle se donne, parmi celles que propose l’AFB : Préservation, gestion et restauration de la biodiversité, Développement des connaissances, des ressources et des usages des servicesécosystémiques, Gestion équilibrée et durable des eaux, Appui scientifique, technique et financier aux politiques publiques et privées. Les missions de police de l’environnement restent de la compétence de l’Etat. Or, c’est notamment sur ce point que le dispositif pêche ici pour protéger l’environnement.
“Parler biodiversité c’est aussi parler économie”
Pour que l’Agence régionale de la Biodiversité ne soit pas un « machin » de plus, il faut prendre du recul, ainsi que nous y invitait avec beaucoup de clairvoyance Yves-Marie Renaud, sous-préfet en charge des Affaires régionales (SGAR) : « La biodiversité à Mayotte ne va pas bien. Depuis mon premier passage il y a dix ans, nous avons perdu de la surface forestière. Sans doute la question environnementale n’était-elle pas la priorité des habitants dont la majorité a besoin de satisfaire des besoins de base. Si la nature est vue comme un usage alimentaire et d’habitat, comment fait-on face à ce besoin d’espaces et les objectifs de préservation de la biodiversité ? La question que doit se poser l’ARB c’est ‘comment infléchira-t-on cette tendance ?’ On ne répondra qu’en instaurant un dialogue entre l’économie et la biodiversité, on ne peut traiter les deux séparément. Il ne faut donc pas seulement mobiliser les acteurs de l’environnement, mais les entreprises, les écoles, etc. La démarche doit porter sur l’économie et sur les mentalités, un chemin ardu. »
Pour que l’Agence régionale de la Biodiversité ne soit pas un « machin » de plus, il faut aussi se demander pourquoi ce qui existe déjà en matière de protection de l’environnement ne suffit pas, comme le demandait Nailane-Attoumane Attibou, vice-président du Comité de l’Eau et de la Biodiversité, « en particulier les polices de l’environnement à Mayotte sont saturées », nous avons d’ailleurs souvent dénoncé dans ces colonnes les insuffisants effectifs en matière de police de l’eau. Avant de créer une structure de plus, ou pendant qu’on le fait, il faut donc doter les acteurs existants de moyens humains et matériels suffisants.
Des objectifs chiffrés
Pour que l’Agence régionale de la Biodiversité ne soit pas un « machin » de plus, il faut lui donner des objectifs concrets, comme le faisait remarquer Stéphane Le Goaster, directeur adjoint de l’Equipement (DEAL) : « Les ARB déjà créées se sont-elles données des objectifs quantitatifs ? Par exemple, passer de 100.000 tonnes de déchets à la moitié ? » Apparemment non, rapporte Emmanuel Thévenin.
Pour que l’Agence régionale de la Biodiversité ne soit pas un « machin » de plus, il faut « réfléchir aux priorités d’actions , comme le faisait remarquer Michel Charpentier, président et créateur des Naturalistes de Mayotte : « Le réchauffement climatique est certainement une menace, mais ici, c’est surtout la pression démographique qui abime le lagon, par pollution des déchets, et à terre, par la destruction et la segmentation des habitats naturels par les pans de cultures. Il faut protéger et gérer les espaces naturels. »
“L’espace naturel est occupé très vite”
Enfin, pour que l’Agence régionale de la Biodiversité ne soit pas un « machin » de plus, il faut une vraie instance décisionnelle, « qui dépasse et coordonne les structures existantes, ainsi que Abdou Dahalani, président du Parc Naturel Marin et du Cesem le faisait remarquer, il faut du personnel dédié. Car l’espace naturel est occupé très vite, même les mangroves maintenant ! »
Même si l’hémicycle était peu rempli, beaucoup d’interpellations envers un Emmanuel Thévenin qui se transformait en girouette, tentant de répondre à tous : « Il faut se demander aussi si tous les acteurs actuels sont partie prenante. On ne peut s’exonérer de s’interroger sur une coordination de toutes les actions qui sont menées séparément. La période de préfiguration pendant deux ans doit servir à ça. »
C’est un quatuor qui managera l’ARB : la Région Mayotte, l’Agence Française de la Biodiversité, l’Etat et l’Agence de l’eau. Le budget est de 507.940 € dont 317.352 € de l’AFB et le reste par le conseil départemental, majoritairement en mise à disposition d’agents.
Le tableau de la dégradation environnementale est « sombre » pour le sous-préfet Yves-Marie Renaud, « mais il n’appelle pas au pessimisme » : « Nous n’avons pas le choix, et c’est pour cela que le ministre Nicolas Hulot avait voulu les ARB ».
Mais cela ne marchera que si toutes ces conditions sont prises en compte lors des futurs comités de pilotage.
Anne Perzo-Lafond
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