Lors de sa visite le 23 octobre à Mayotte, le président Emmanuel Macron l‘avait annoncé : « Nous avons 170 millions d’euros pour étendre ou construire un deuxième hôpital pour répondre aux défis de santé. » Il ne s’agissait pas de la construction en cours de l’hôpital de soins de suite et de réadaptation de Petite Terre, annoncé en septembre dernier, et qui tire la langue depuis 2015, mais bien d’un 2ème hôpital.
Au journal télévisé de Mayotte la 1ère, Annick Girardin semblait temporiser : « Il faut travailler sur un nouveau projet d’hôpital ou peut-être travailler sur d’autres types d’aménagements. Il y a des projets qui sont bloqués, je suis aussi là pour ça ». La ministre n’est pas du genre à botter en touche sans s’expliquer. Nous l’avons donc interrogée le lendemain sur l’état du projet.
Annick Girardin nous faisait part des difficultés en cours : « La crise actuelle du Covid nous oblige à être efficace. Nous avons des crédits, petits, mais qui existent, pour la restauration de l’actuel CHM, et d’autres crédits pour l’extension et la construction d’un deuxième hôpital. Mais nous avons des problèmes fonciers. Or, ça ne peut plus attendre. Cela ne veut pas dire que le projet est remis en cause, mais que si on s’oriente vers un deuxième hôpital, il faut aller vite. Or, la construction pourrait mettre jusqu’à 5 ans. Il faut s’interroger sur le choix le plus judicieux ».
Du risque d’un faire valoir…
Sentant qu’il y avait un loup, le président du Département a anticipé lors de son discours de cérémonie de don des 600.000 masques à l’ARS en réitérant la demande d’un 2ème hôpital. Deux tendances s’opposent, avec des arguments étayés.
Du côté des partisans d’une seule extension, sans nouvelle construction, on évoque la difficulté de pourvoir dans un 2ème site, des professionnels de santé qui font déjà défaut dans le vaisseau amiral. Avec le risque d’avoir un établissement second moins doté en compétences notamment, et donc déserté par les patients. Ils prêchent en priorité pour attendre la bascule du CHM en CHU, Centre Hospitalier Universitaire, qui permettra alors de fournir des professionnels de qualité, une fois que sera mis en place un cursus complet de médecine au Centre universitaire de Dembéni.
A titre de comparaison, la Guyane n’a pas encore son CHU, avec une montée en puissance en cours des années de médecine. Pas de CHU, mais pourtant on n’y trouve non pas un seul Centre Hospitalier comme à Mayotte, mais trois, à Cayenne, dans l’Ouest Guyanais et à Kourou. A Mayotte, chaque publication de STATISS (STATistiques et Indicateurs de la Santé et du Social) nous donne l’occasion de constater le faible maillage territorial en structures de santé (Lire ARS_Statiss2016_HD-)
… à celui du savoir faire
A l’autre côté, Issa Issa Abdou, président du conseil de surveillance de l’Hôpital, et également 4ème vice-président du Département, qui tient, lui, à ce 2ème hôpital pour le département : « Nous avons quitté le Groupement Hospitalier de Territoire de La Réunion pour pouvoir créer le nôtre. Pour ça, il nous faut une alternative au CHM. En 2017, on m’opposait à cette décentralisation la difficulté d’acheminer rapidement les patients entre les deux établissements en raison du piètre état des routes. C’est pourquoi nous avons inauguré une hélistation, avec le but avoué de se doter d’un appareil. »
Sur le sujet du manque d’attractivité du territoire en matière de professionnels de santé, l’élu appelle à se donner les moyens, « c’est à nous de créer les conditions générales d’attractivité, et parallèlement, il faut revoir à la hausse les rémunérations du personnel soignant pour les fidéliser ici. » Surtout, il évoque son bébé, la mise en place de filières de métiers de la santé au CUFR, « nous devrions lancer la formation de professionnels dès septembre prochain. Du coup, et en supposant que l’on rajoute une année à chaque rentrée, nous aurons des médecins formés lorsque le 2ème hôpital sortira de terre. En attendant, il faut s’atteler au projet d’extension de l’actuel. »
Sur la question du problème foncier, l’élu convient que les choses évoluent peu. Il évoque toujours un terrain à Combani, « mais il faut commencer à négocier avec le conseil départemental qui en a la maîtrise. »
Réussir les projets actuels de court et moyen termes
La taille minimale d’un million d’habitants pour implanter un CHU ne semble pas contraindre en outre-mer, puisque la Guadeloupe avec moins de 500.000 habitants, en possède un.
Issa Abdou rappelle la projection autour de COPERMO**, le Comité Interministériel de Performance et de la Modernisation de l’Offre de Soins, qu’il avait évoqué il y a 6 mois dans nos colonnes, d’un montant de 200 millions d’euros pour Mayotte, qui court jusqu’en 2027, et qu’il faut absolument commencer à consommer : « Nous devons le mener sur trois phases. Il s’agit tout d’abord d’étendre et de moderniser l’existant, notamment sur les services de maternité, de néonatologie, et des urgences. Nous devons également mener le projet d’un 2ème hôpital, et enfin, bâtir un CHU en bonne et due forme ».
Sur ce dossier d’un 2ème hôpital, c’est donc aussi la capacité des décideurs à mener les projets de moyen terme qui est regardé. Or, celui de l’hôpital de Petite Terre de prés de 30 millions d’euros, toujours pas inauguré en raison de dysfonctionnements alors que Manuel Valls premier ministre en avait posé la 1ère pierre en 2015, ne plaide pas en notre faveur.
Anne Perzo-Lafond
* CHU : Hôpital comportant des unités de recherche et d’enseignement
** Le COPERMO valide et suit les actions proposées par les Agences Régionales de Santé