Le hall de l’aéroport ressemble à un de ces villages de western déserté par sa population après une catastrophe. Au lieur des boules des brindilles poussées par le vent, des touffes d’isolant du plafond que les oiseaux pillent peu à peu. Les traces de fiente au sol laisse peu de place au doute : si l’activité ne reprend pas, ils y règneront en maîtres… « Et encore, nous nettoyons le sol tous les jours ! », lance Olivier Capiaux, directeur de l’aéroport pour Edeis. A Mayotte depuis trois mois, l’homme ne compte pas rester les deux pieds dans les mêmes sabots sous prétexte que les vols sont réduits à portion congrue. « Mayotte, c’est une foule de pépites ! Le lagon d’accord, mais à l’aéroport, il y a beaucoup de choses à faire. Les gens, on va leur donner envie de venir ! »
L’enthousiasme n’est pas feint. On nous dit que le gabier en cours d’aménagement c’est lui, et planté devant le guichet du Comité de Tourisme, il le revisite à l’envi, « il faut l’éclairer, le mettre en valeur, il faut aussi afficher en gros dans le hall les horaires des barges, c’est pas normal que les voyageurs ne soient pas informés en arrivant. »
Arrivé d’Afrique de l’ouest, il a pris un aéroport en sommeil. Sur la pointe des pieds, ou plutôt des trains d’atterrissage, les vols commerciaux vers Paris semblent avoir repris, comme nous l’avait annoncé le sous-préfet Julien Kerdoncuf. Le dernier décret sur l’état d’urgence sanitaire daté du 14 juin, appliquant les annonces d’Emmanuel Macron, interdit, sauf motifs impérieux personnel, professionnel ou de santé, les liaisons « entre, d’une part, la Guyane, Mayotte, la Polynésie Française, la Nouvelle-Calédonie ou Wallis et Futuna et, d’autre part, tout point du territoire de la République ». Selon les passagers ayant décollé lundi, il semble que nous soyons dans un entre-deux, et que aux motifs très cadrés de voyage, vont succéder des raisons moins impérieuses.
En matière de reprise de vols régionaux, « on nage en eaux troubles »
Ce lundi, un Dreamliner d’Air Austral a décollé de Mayotte pour Paris mais rempli aux trois quarts. Une nouvelle liaison est prévue jeudi, avec un aller retour ce mercredi sur La Réunion.
Filiale d’Air Austral, Ewa Air a vu ses avions cloués au sol depuis le 19 mars. Ses destinations régionales, Madagascar (Nosy Be, Majunga et Diego), les Comores ou Dar es Salam ont fermé peu à peu avec les frontières de ces pays. Et ne lui permettent pas d’envisager une reprise de sitôt, constate Ayub Ingar, Directeur général délégué d’Ewa Air, « sur ce sujet, on nage en eaux troubles ! ». Tant qu’on ne vole pas en cieux obscurs !… Le président Macron a annoncé une reprise le 1er juillet vers les pays hors Union Européenne à la condition que le virus n’y circule plus.
La petite compagnie détenue à 47% par des capitaux Mahorais (Chambre de Commerce et groupe Issoufali), a donc cherché des marchés ailleurs, mais celui des évasans lui est passé sous le nez. Ayub Ingar, a du mal à avaler la pilule : « Le CHM était satisfait des 5 évasans que nous avions effectuées, et pour lesquelles nous avions investi dans des civières, mais le marché des transports sanitaires est allé chez un concurrent qui de plus, n’a pas un certificat de transport aérien français mais slovène. » C’est dans les clous, « je reproche juste qu’on ait pas fait travailler une compagnie locale ». Dominique Voynet, directrice de l’ARS avait expliqué avoir préféré Regourd Aviation pour une histoire de capacité d’emport et de coût.
Les civières remplacées par des produits frais
Les marchés se sont comptés sur les doigts des deux mains pour Ewa qui a pu rapatrier des Mahorais coincés à Madagascar, aux Comores, et transféré des fonds pour la Banque Centrale Comorienne de Moroni à La Réunion, ou transporté du matériel médical pour la Croix Rouge vers les Comores. Dix vols qui ont juste permis de sortir momentanément du chômage partiel une petite partie du personnel navigants, et technique, mais les 35 salariés y ont massivement recours.
Le directeur s’est orienté vers un autre marché, le fret commercial. « J’ai retiré les civières pour transformer l’ATR en cargo qui a pu transporter ce mardi 5,5 tonnes de fret en fruits et légumes et en gel hydroalcoolique depuis Tananarive ». L’affréteur est MJM Corporation, spécialisé dans l’import export de commerce de gros à Mamaoudzou. D’autres vols de ce type sont en prévision.
Sous cette nouvelle activité de cargo, l’ATR s’est posé ce mardi avec aux commandes, un jeune mahorais, Abdallah Zidine, nouvellement recruté par la compagnie, « c’est le deuxième pilote mahorais chez nous et 100% du personnel navigant commercial est originaire de l’île. »
Ce mercredi, un 737 d’Air Madagascar arrive à Mayotte pour livrer des masques, affrété par la préfecture nous explique-t-on, avec un murmure sur le tarmac, « mais pourquoi ils ont pas choisi Ewa ? »…
Anne Perzo-Lafond
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