Alors que les expulsions sauvages se multipliaient sur l’île en 2016, nous avions interrogé l’ancien président du Tribunal de Grande Instance de Mamoudzou, Laurent Sabatier, pour connaître les recours légaux. Car par un procédé en référé expulsion, la loi prévoit l’hypothèse du trouble manifestement illicite provoqué par une construction illégale.
« La violation manifeste du droit de propriété mentionnée à l’article 17 de la déclaration des droits de l’Homme est bien une atteinte aux droits fondamentaux inscrits dans la Constitution », nous avait expliqué le juge, qui en détaillait la procédure. Le propriétaire du terrain peut saisir le juge en référé (décision rapide) par le biais de son avocat. Il devra justifier de son titre de propriété, ou prouver qu’il l’est*. Un huissier doit constater la présence des bangas, et en identifier les occupants, « c’est souvent l’étape la plus longue », avait-il complété.
La plus longue et la plus couteuse puisque la famille Batrolo, propriétaire du grand terrain évacué depuis dans la montée SFR à Kawéni, avait dû s’acquitter de frais auprès de l’huissier et de 400 euros par bangas construit illégalement pour l’ordonnance de justice.
Le législateur a donc modifié les textes, nous explique le sénateur Thani Mohamed Soilihi avec qui nous avons fait le point. « J’avais proposé d’ériger en délit le fait de ne pas respecter un jugement civil d’expulsion. Il y’a un équivalent en droit de la famille puisque le fait pour un parent de s’opposer au droit de visite et d’hébergement de l’autre parent et constaté par le Juge aux Affaires Familiales du JAF, devient un délit de non représentation d’enfant. Ou bien le fait pour un parent de ne pas payer une pension alimentaire fixée par le juge est constitutif du délit d’abandon de famille. » Si cette proposition n’a pas été retenue, une évolution notable en a découlé.
“Plus besoin d’un huissier”
En effet, l’article 322-4-1 du Code pénal, rédigé à l’encontre des gens du voyage, permet à quelqu’un qui peut prouver son droit de propriété, de déposer plainte contre une occupation illicite de son terrain en vue d’y construire une habitation. « Il n’y a plus besoin de recourir à un huissier, il suffit d’un Officier de Police Judiciaire se déplaçant sur place pour les constatations. Ça évite un procès au civil long et couteux », rapporte le sénateur, par ailleurs avocat.
Lorsque la loi est passée en 2017, il a écrit à tous les maires et au président du conseil départemental pour qu’ils fassent entendre leurs droits. « Je m’attendais à des plaintes massives qui auraient incité le procureur à poursuivre, mais cela n’a pas été le cas. Les propriétaires fonciers, que ce soit les communes, le conseil départemental ou l’Etat et les particuliers ont cette possibilité, ils doivent la saisir ! »
Etonnant que les recours ne se soient pas multipliés. Si on exclut les cas de loyers perçus illégalement par des propriétaires auprès de ces occupants, on peut penser que la loi est encore méconnue. Or, elle a donné un surcroit de pouvoir à la gendarmerie, il faut profiter de cette mesure.
En ce qui concerne l’inaction éventuelle de l’Etat qui ne ferait pas intervenir la force publique pour faire exécuter une décision de justice, comme sur la carrière d’Achery à Koungou, la loi prévoit le recours possible des plaignants auprès du tribunal administratif.
Les maires fraichement élus et donc dégagés d’échéance électorale de court terme, auraient tout intérêt à faire valoir ce droit, s’ils ne veulent pas voir s’étendre ces quartiers informels insalubres.
Anne Perzo-Lafond
* Par le « droit de la preuve », le juge peut reconnaître un acte de propriété à travers un bout de papier ou un témoignage fondé.
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