Nous sommes dans un entre-deux : soit ça passe, soit ça casse. C’est un peu le résumé du point donné par le préfet Jean-François Colombet lors de sa présentation de l’équipe préfectorale : « Si on ne fait rien, vu le niveau des retenues collinaires, début décembre, on n’aura plus rien. » Pour anticiper, des tours d’eau sont mis en place, qui épargnent les secteurs hospitaliers et scolaires, mais qui touchent l’ensemble du territoire, selon un agenda précis.
Ils ne sont plus nocturnes, les robinets sont vides dès 16h jusqu’à 8h le lendemain, c’est à dire une heure après l’ouverture des bureaux et des écoles. Il s’agit de contrer les fuites sur le réseau, « environ 25% de perte, c’est moins qu’en métropole », se réjouissait le préfet. Pourtant, le réseau est parmi les plus jeune de France. L’ancien président du Syndicat des eaux, feu-Maoulida Soula, avait mis en garde sur l’entretien indispensable à mener, « sinon, nous rejoindrons en terme de fuite les autres territoires. » Faute de mesure prise par son successeur, nous y allons tout droit.
La situation sera réévaluée fin septembre, et si elle se dégrade, les coupures se feront sur 24h.
Alors que la saison des pluies fut particulièrement dense, comment en sommes-nous arrivés là ? Alors même qu’en juin, la retenue collinaire de Dzoumogné affichait 84% de remplissage, et celle de Combani, 87%, elles sont désormais respectivement à 48% et 56% ce 7 septembre 2020. Ce n’est pas encore la catastrophe, mais elles approvisionnent les deux tiers de notre consommation en eau potable.
Des travaux de forages en attente de liquide
La consommation en eau a pris 30% en 5 ans, avait annoncé l’ARS, ce que le préfet traduit en volume, « il y a eu 1.400 abonnés supplémentaires en 2020, soit environ 260.000m3 d’eau consommés, c’est à dire l’équivalent de ce que permettra en production la rehausse de la retenue de Combani. » Les travaux sont toujours en cours qui avaient nécessité de purger la retenue, qui n’a donc pas pu se remplir totalement. Beaucoup de familles sont également passées d’un habitat précaire à des maisons en dur, selon le préfet modifiant le mode de consommation à la hausse. Il reprenait les chiffres de l’ARS sur la totalité des rampes et bornes fontaine mises en place contre le Covid, « elles représentent 0,8% de la consommation d’eau seulement ». On sait en effet que parmi les plus gourmandes en eau, les chasses d’eau sont en pôle position, inexistantes dans beaucoup de cases en tôle.
Le plan urgence eau, financé en pleine crise de l’eau en 2017, n’est toujours pas bouclé. « Plusieurs forages ne sont pas faits, les entreprises ayant cessé les travaux faute de paiement de factures », rapportait Jean-François Colombet, pointant un « problème de gouvernance », sans nommer le Syndicat Mixte d’eau et d’assainissement (SMEAM).
Quant à la nouvelle usine de dessalement de Petite Terre, confiée à Vinci, et qui devait produire 4.500m3, elle stagne à 2.300m3. « Il aurait fallu mener plusieurs études avant le la lancer », nous avait confié le directeur de l’entreprise, soumis par la préfecture d’alors à l’urgence de la situation. Résultat, l’eau potable à certaines périodes de l’année ne l’étant plus par la suite, la turbidité nécessitait de trouver une seconde prise d’eau pour éviter le recours à une pompe de décantation. Des travaux sont en cours, informe le préfet, « pour atteindre les 3.600m3 par jour d’ici fin octobre. » Vinci a dû dédommager le syndicat des eaux « à hauteur de 800.000 euros ».
Et si on tentait la 4ème retenue collinaire ?
Et au 1er semestre 2021, les travaux menés sur un captage par drains avant dessalinisation devraient permettre d’atteindre les 4.500m3 espérés. « Une production d’eau qui ne concerne que Petite Terre », met en garde le préfet. Les volumes à transporter semblent supérieurs à ce que peut supporter le sealine qui relie les deux îles.
Autre solution, la 3ème retenue collinaire semble plus que jamais inaccessible, avec une expropriation retardée par « des dossiers de Déclaration d’utilité publique incomplets ». A ce sujet, nous avons interrogé l’ancien élu Issihaka Abdillah qui avait suivi ce dossier : « On oublie qu’au Plan d’aménagement et de développement durable de Mayotte figurait un projet pour une 4ème retenue collinaire, du côté de Vahibé. Pourquoi ne cherche-t-on pas de ce côté là ? »
Autre piste en cas d’assèchement total des retenues, le préfet avait envisagé le recours à un bateau usine, d’embouteillage d’eau dessalinisée, « ça coute très cher », soulignait-il. D’autant que la compagnie qui l’arme est en difficulté. Sur ce sujet, l’idée d’un tanker d’eau avait été proposée à l’époque de la pénurie par la ministre des outre-mer Ericka Bareigts, que beaucoup avaient raillé lorsque l’eau était redevenue abondante, mais que reprend Issihaka Abdillah, « c’est un peu le même format que la livraison de carburant par les pétroliers. Il suffit de financer le dispositif à La Réunion pour prélever la ressource en eau. »
Pour l’instant, la saison est aux coupures, « en espérant des arrivées de pluies précoces », concluait le préfet. Une sorte d’oasis dans le désert.
Anne Perzo-Lafond
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