« On est en permanence sur le fil, tous les jours on pense pouvoir atteindre notre point de rupture ». Face au terrible constat dressé par le docteur Blondé, on s’imagine aisément son service de réanimation en ébullition face à la tempête. Et pourtant, c’est un silence pesant qui règne dans ce couloir de tous les enjeux. Il y a bien le bruit des machines, le bip des constantes et le grincement des souliers en plastique des soignants pressés. Mais derrière les masques, les bouches restent closes. Le regard, lui, est grave, concentré et ne se pose que pour répondre à la tâche : sauver des vies. C’est ainsi que l’on affronte une tempête, semble-t-il. Car la tourmente est bien présente, au contraire d’une perspective d’accalmie.
« Ce qui nous a surpris, c’est la violence de la vague, il y a un mois j’avais zéro patient Covid dans mon service, un mois plus tard on a envoyé 37 patients réa à La Réunion, 23 sont dans le service, sans compter ceux qui sont sortis ou décédés », expliquait ce vendredi, après quatre départs en évasan, le chef de service, devant la porte d’une patiente. Face à cet afflux de patients, 16 lits de réanimation ont pu être mis en service grâce aux renforts du service de santé des armées et de la réserve sanitaire. « Sans eux, je ne sais pas comment on ferait, ce serait vraiment la merde », lâche le médecin.
Mais il a fallu trouver de la place. La salle de réveil s’est ainsi transformée en service de réanimation, où six patients sont allongés côte à côte, séparés par un maigre panneau. « Je pense que ça montre bien la gravité de la situation », lance le docteur Blondé avant d’ouvrir la porte. « Partout ailleurs, ce genre de chose serait inimaginable, mais on a pas le choix. Déjà qu’en temps normal on est clairement sous-dotés, alors en crise Covid… »
Un « mur épidémique dont on ne voit pas le bout »
« Pas le choix », les mots reviennent en boucle. Comme pour expliquer qu’un grand nombre de patients actuellement en médecine seraient déjà en réanimation dans un autre hôpital. « En fait on les prend malheureusement au dernier moment… C’est parfois limite pour les transferts mais on a pas le choix, on a pas assez de place ». Pas le choix non plus que de déprogrammer toute intervention, sauf urgence vitale, quitte à créer « des véritables bombes à retardement après la crise ». Pas plus le choix pour les évacuations sanitaires, « forcément risquées pour un patient en réanimation qui doit en principe ne pas quitter sa chambre ».
Et ce sont elles, justement, qui permettent au service de ne pas sombrer. « Sans ça on aurait des dizaines et des dizaines de morts, heureusement que nos collègues de La Réunion sont là et qu’ils ont compris la gravité de la situation », commente Renaud Blondé. Car les solutions de secours face à « ce mur épidémique dont on ne voit pas le bout » se font rares. Rejoints dans leur salle de staff par le docteur Blondé, Alain et Philippe, tous deux anésthésistes-réanimateurs du service de santé des armées font le bilan des voies de recours.
« On ne peut qu’espérer que La Réunion ne subisse pas le même sort que nous »
Pour Alain, médecin chef des services, il ne faudrait pas compter sur un nouveau renfort militaire. « On a déjà réévalué la mission pour armer dix lits et mobiliser 53 personnels (dont sept médecins et 37 paramédicaux), je ne pense pas qu’on puisse faire plus car on a aussi nos hôpitaux à faire tourner et du monde déployé à droite à gauche, comme au Mali », estime-t-il. « On pourrait tenter de monter 4 lits aux urgences mais trois étages plus pas, c’est du dégradé de chez dégradé », ajoute son confrère civil. « On ne peut qu’espérer que La Réunion ne subisse pas le même sort pour que l’on puisse continuer à leur envoyer des patients. Ou tout au moins en décalé », fait de son côté valoir Philippe, au grade de médecin principal.
Car à raison de quatre patients mahorais reçus par jour, malgré ses plus grandes capacités, la Réunion ne pourra continuer indéfiniment à jouer le respirateur artificiel pour sa petite sœur. « C’est tout le problème, on ne sait pas quand sera le pic », rappelle Alain, même si l’ARS voudrait tabler sur la mi-mars. « Ça nous permettrait d’envisager le bout du
tunnel même s’il y a une énorme inertie entre le début de la décroissance et la réalité en réanimation car ce sont souvent des hospitalisations d’un mois », poursuit Renaud Blondé.
Ouvrir un gymnase comme c’est envisagé ne créerait pas plus de place en réa. Alors on se force, tant bien que mal, à imaginer la possibilité de cette option du gouvernement : affréter un Boeing 777, au départ de La Réunion piste trop courte oblige, pour un transfert massif de patients vers la métropole. « Ce serait du jamais vu, c’est techniquement extrêmement compliqué et très risqué pour les patients. Si on a eu la chance de ne ne pas avoir de casse avec les evasan vers La Réunion en huit heures porte à porte, ce ne sera pas la même donne avec 17 heures de transfert », prévient le chef de service du CHM. « Mais peut-être qu’on n’aura pas le choix ».
G.M.
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