Deux bons articles sur le département sont sortis dans Le Monde ce mardi, qui nous changent de ce que l’ont peut lire habituellement dans les tribunes versées ça et là par ceux qui n’ont passé que deux ans ici, et ont tout compris au point de juger qu’en dehors de « redonner Mayotte aux Comores », point de salut pour leur esprit simpliste.
Lors de la télé-rencontre avec les élus le 31 mars dernier, Sébastien Lecornu avait convié notamment le quotidien du soir à couvrir les échanges. « Une bonne chose que Paris ait un autre écho », nous avait alors dit Thani Mohamed Soilihi. Le sénateur avait retracé pour nous l’essentiel des propositions ministérielles. Parmi les points phare, une consultation lancée depuis le 1er avril et jusqu’au 1er juin qui nourrira un projet de loi spécifique à Mayotte, et l’urgence des rattrapages des droits sociaux.
Sur ce point, comme un écho à notre article « A force de craindre ‘l’appel d’air’, les rouages se sont grippés », les propos du ministre des Outre-mer sont rapportés par Le Monde : « Comment expliquer à des citoyens d’un département français qu’ils ne peuvent pas accéder aux mêmes droits que le reste de la population au motif que cela pourrait attirer des étrangers ? Ce n’est pas ça, la République !’ ». Et rappelant que la loi « égalité réelle » du 28 février 2017 prévoit une convergence des droits sociaux à l’horizon 2036, le ministre a jugé que « Le moment est venu d’accélérer, avec une méthode et un calendrier serrés ».
Un réalisme aux visées politiques ?
La 2ème prise de conscience porte sur la sécurité et l’immigration clandestine. Jusqu’à présent, on assistait à un dialogue de sourd entre une population qui vit des nuits agitées par des caillassages, et les autorités qui répondent, « on a fait beaucoup ». Tant qu’un enfant n’a pas eu une bonne note, on lui demande de poursuivre ses efforts. Surtout quand la comparaison des moyens sécuritaires avec un autre département ne tient pas, la moitié de la population étant composée chez nous de mineurs de moins de 17,5 ans. Là encore, le ministre fait cette fois preuve de réalisme, « Peut-on gérer la sécurité à Mayotte comme dans l’Eure ? La réponse est non, bien évidemment. Il faut ajuster notre droit interne et nos relations diplomatiques avec les Comores », rapporte toujours Le Monde, en évoquant une adaptation du droit de la citoyenneté et du droit de l’immigration aux réalités locales. Une sorte de continuum peut-on penser des amendements Thani, qui conditionnent l’accès à la nationalité pour un enfant né à Mayotte, par la présence en situation régulière et continue d’un de ses parents dans les 3 mois précédents sa naissance.
Des déclarations qui tranchent avec les déclarations précédentes, ce qui leur a valu approbation par le sénateur et le député Mansour Kamardine.
Mais l’incertitude avouée par le ministre de pouvoir faire voter cette loi avant la fin du quinquennat fait craindre à Patrick Roger, auteur de l’article et bon connaisseur de Mayotte, un « coup politique » avant les présidentielles de 2022, sur un territoire qui offre les meilleurs scores nationaux au RN de Marine Le Pen.
Le marché de l’emploi minuscule doit absorber la région
Une autre tribune dans le même quotidien met Mayotte à l’honneur, et là encore, en tentant de construire une solution, plutôt que de jeter le bébé département avec l’eau du Canal du Mozambique.
En mettant en garde « Mayotte : ‘un simple ‘copier-coller’ de ce qui se fait ailleurs en France ne peut constituer une stratégie de développement pour ce territoire », son auteur, François Hermet, Maître de conférences en sciences économiques à l’Université de La Réunion, appelle à miser sur l’insertion économique plutôt que sur les transferts publics de la métropole.
Il met en évidence les chiffres de l’INSEE qui font la différence entre le taux de chômage de 30% au sens commun du BIT, et le taux d’inactivité qui intègre le « halo » de personnes sans emploi en âge de travailler et non inscrites au chômage, ce qui le double pratiquement. Mettant en perspective la forte croissance « de l’ordre de 7 % par an ces dernières années » et les 3,4 personnes sur 10 en âge de travailler ayant un emploi à Mayotte contre 6,6 en métropole et 4,6 à La Réunion, l’auteur s’interroge sur l’absence d’impact positif.
Deux raisons à cela. Les personnes les plus éloignées de l’emploi sont les femmes, les jeunes et les natifs des Comores, « Ces derniers, qui représentent près de la moitié de la population, sont ainsi 2,5 fois plus souvent au chômage que les natifs mahorais ». Et la configuration du marché du travail à Mayotte, partagé entre « une activité de subsistance (agriculture, pêche) », exercée surtout par la population clandestine, et « une activité de services principalement non marchands dominée par des administrations publiques (plus de la moitié du produit intérieur brut) », exercée par les mahorais. Cette dernière étant saturée, il faut trouver des leviers de développement supplémentaires, et on sait que le territoire en tête du dynamisme national pour les créations d’entreprises, sait faire.
Si l’auteur ne propose pas de solution, il pose les défis, connus ici, « Mayotte reste handicapée par l’étroitesse de son marché intérieur, par son isolement, par une population dont les trois quarts sont sans diplôme, et par un record national en matière d’illettrisme. Il est d’autant plus urgent de répondre à ces difficultés d’inclusion que, la pression démographique restant très forte, le nombre de jeunes arrivant sur le marché du travail demeurera important dans les années à venir. »
Des contributions à sortir le territoire de l’ornière qui, on l’espère, en appelleront d’autres.
A.P-L.
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