Assise sur les mêmes bancs d’école qu’elle, Rachida avait de bien meilleures notes en espagnol que sa copine Carmen dont c’était pourtant la langue maternelle. L’apprentissage de l’orthographe et de la grammaire de la langue avait fait la différence. Il en va de même pour le shimaore et le kibushi.
« Pourquoi ‘narifundrihe shimaore*’ alors que le verbe est ufundriha ? », avions-nous questionné une amie mahoraise lors de nos premiers pas linguistiques dans l’île aux parfums. « Je ne sais pas, c’est comme ça… », répondait-elle. Nous apprendrons plus tard les fantaisies de l’impératif à cette conjugaison au pluriel.
Deux exemples qui donnent une idée de ce que l’apprentissage du shimaore et du kibushi peut apporter à toutes les générations. Une première grande étape vient d’être franchie, grâce à trois facteurs, reprenait le ‘shimaorephone’ et ‘shimaorephile’ recteur Gilles Halbout : « La formalisation de la graphie de la langue par le conseil départemental, les associations comme Shime et des chercheurs tout d’abord, le vote de la loi du 21 mai 2021, pas assez mise en évidence alors qu’elle reconnaissait le shimaore et le kibushi comme langues régionales, ensuite, et enfin, la clarification de la volonté de travailler avec les langues régionales sur place à Mayotte, de la part du conseil départemental, du Centre universitaire et du rectorat ».
Pour le président du conseil départemental, cette reconnaissance « institutionnelle et politique » des langues de Mayotte par la loi du 25 mai 2021 fut un « moment historique », qui permet d’aboutir à une convention signée ce mardi entre le Département, le Rectorat, le CUFR et Shime. Cette unanimité entre les acteurs, qui n’était pas de mise il y a 12 ans à Mayotte, est la reconnaissance de l’utilité d’enseigner les langues maternelles dans les écoles, « ce n’est pas en étouffant les langues régionales qu’on fait de bons francophones, mais au contraire en formant de bons bilingues », résumait le président du Département.
Dédramatiser le premier contact avec le français à l’école
Nous n’en sommes néanmoins qu’au début du défi à relever. Pour l’instant, seuls la graphie est actée en matière d’écriture, accouchée le 31 mars 2020, parfois dans la douleur, « nous avons assisté à beaucoup de combat de coquelets pour arriver à un consensus sur l’alphabet et la graphie standards. » Il faut encore travailler sur une orthographe et une grammaire figées dans le marbre, les coquelets pourraient se muer en coqs sauvages… Pour sécuriser l’acte II, la création d’un Institut des langues mahoraises a été adoptée lors de la dernière commission permanente. Composé des instances signataires de la présente convention et de deux intercommunalités, Sud et Petite Terre – qui en appellent d’autres – il devrait permettre de créer ensuite une Académie des langues.
En attendant que les deux gros morceaux, orthographe et grammaire, aboutissent, le rectorat propose quand même des pistes d’enseignements pour les plus petits, histoire d’initier l’expérience, comme le rapporte Gilles Halbout : « Les enfants de 3 ans qui ont toujours entendu parler une autre langue à la maison, découvre la langue de la République à l’école, il ne faut pas qu’ils perçoivent ça comme un monde hostile. Nous expérimentons donc, avec l’inspectrice Sitinat Bamana, l’utilisation de la langue maternelle pour en apprendre d’autres, notamment le français. Quoi de mieux pour dresser des ponts ? »
Pour que ces expérimentations fonctionnent, il faut à la fois des enseignants formés au shimaore, « tous ne le parlent pas », mais aussi à sa transmission vers la traduction en français, « enseigner, ça s’apprend ».
A la découverte de sa langue
Si la loi de mai dernier sur les langues régionales a fait des remous en métropole c’est qu’elle revenait sur l’enseignement immersif – toutes les matières enseignées dans la langue maternelle – dans les écoles publiques, contrariant les adeptes des écoles Diwan et autres bretons ou occitans, des territoires où la langue régionale est en perdition, contrairement à Mayotte où l’accent doit être mis sur la maitrise du français, en passant par une meilleure connaissance de sa langue maternelle.
Ce manque de connaissance n’épargne personne, y compris le directeur adjoint du CUFR, Abal-Kassim Cheik Ahamed : « Je voulais parler des différentes syntaxes de ma langue, mais j’avoue le manque de richesse personnelle dans ce domaine. Parler shimaore, c’est d’abord avoir en héritage le swahili, en héritage l’arabe, en héritage le malgache, en héritage le portugais et en héritage le français. Mais c’est regrettable que les enfants qui savent nommer le ciel, la mer et les parties du corps humain ne connaissent pas la signification des termes, ni leur origine. » Cette compréhension va enrichir tout le monde, poursuit-il : “il n’y a pas meilleure gymnastique de l’esprit que de comparer les structures de deux langues, cela augure de futures joies de découverte pour les enfants. Et par ce travail, nous ouvrons une voie à la pacification de la société mahoraise. »
Il en est un qui nageait dans le bonheur pour s’être attelé à cette œuvre de reconnaissance de ces deux langues depuis 27 ans ! Rastami Spelo, président de l’association Shime, ne cachait pas sa joie : « En tant que français, j’avais peur que ce mal qui veut qu’on se réunisse, qu’on discourt et qu’on cède à la discorde, n’aie raison de nos langue. » Une crainte qui ne se tait pas ce mardi, « il y a encore beaucoup de pain sur la planche, mais je me battrai jusqu’à on dernier souffle », soulignant le travail à mener sur le vocabulaire et la grammaire. Un préalable pour enseigner la langue, mais le rectorat fait déjà ses premiers pas en lançant de nouvelles tentatives à la prochaine rentrée.
Pour l’accompagner, du matériel pédagogique et des manuels vont être collectés, notamment d’ouvrages d’écrivains locaux.
Pour donner le « la » d’une « fin de la guerre de la salive », le président Soibahadine offrait à ses partenaires signataires de la convention, la BD sur l’histoire de Mayotte en shimaore.
Anne Perzo-Lafond
*”Apprenons le shimaore”, titre du livret de cours de Shime
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