Sur le plateau de l’émission Temps de Parole les 20 décembre 2017 et 13 février 2018, Patrick Varela n’y était pas allé par quatre chemins. En affirmant que la CCI, gestionnaire du port de plaisance de Mamoudzou commettait “infraction sur infraction”, se rendant coupable de “délits de favoritisme” ou encore de “détournement de fonds”, l’entrepreneur se doutait qu’il allait faire des vagues.
Après pas moins de 7 renvois, l’affaire, qui comme tout fait de diffamation aurait dû être jugée en trois mois, est arrivée devant le tribunal ce mercredi, trois ans plus tard. Patrick Varela était défendu par Me Souhaïli. Patrick Millan, en qualité de directeur de publication de Kwezi, était poursuivi pour avoir diffusé ces propos et pour les avoir mis en ligne. Coincé à Madagascar depuis “près d’un an” selon son avocat, il n’a pu se rendre à l’audience.
Lors de ces interventions télévisées, le marin avait assuré détenir des preuves et estimé que “personne ne viendra m’attaquer”. La CCI a vu les choses autrement, en faisant appel à l’avocat Benoît Derieux du barreau de Paris. Pour l’avocat, Patrick Varela avait certes ” le droit de s’exprimer mais il y a des façons de dire les choses, d’émettre des critiques et M. a dépassé les limites de la liberté d’expression”. “On ne peut pas accepter que M. Varela qui bénéficie lui même de nombreuses subventions vienne en direct à la TV accuser la CCI de détournement” poursuivait l’avocat en substance.
“S’il le croyait, c’est lui même qui commettrait une infraction en déchargeant ses passagers sur un ponton qu’il juge dangereux.”
Par sa voix, la CCI réclame au propriétaire du voilier de tourisme 10 000€ de dommages et intérêts et 5000€ de frais de justice. Au directeur de Kwezi, elle demande 1€ symbolique.
“Je ne suis pas un expert, plaidait alors l’entrepreneur. J’ai des juges devant moi qui vont dire si je suis coupable ou non coupable. Je ne suis pas un voyou, je n’ai jamais eu affaire à la justice. Mais quand j’ai affaire à des gens malhonnêtes, et je persiste dans mes propos, sans aucune animosité, il y a toujours des problèmes à la CCI, et des infractions à la loi, et ça je ne peux pas le supporter. A un moment donné quand la direction de la CCI est tout le temps en infraction et continue à être en infraction, il faut faire quelque chose.”
Des accusations réitérées donc qui ont fait réagir les juges, qui ont voulu en savoir plus. “Ce que vous devez faire c’est apporter la preuve de ces infractions, c’est là qu’on passe de la diffamation”. Notamment sur le fait que des plaisanciers aient pu être victimes de “racket”, contraintes de payer des prestations “en espèces” avant de d’entendre dire par la CCI qu’ils n’avaient “pas payé”. “La CCI a-t-elle été condamnée pour ces faits ?” lance le président Souhaïl ?
C’est le prévenu qui a appris au tribunal qu’une enquête conduite par l’ancien procureur Miansoni suite à son intervention télévisée avait conduit à un procès. L’employé de la CCI chargé de recouvrer les redevances du port a été condamné pour “abus de confiance”, il recueillait des sommes et ne les reversait pas à la CCI, qui s’est positionnée en victime de ces agissements. “Cela n’implique pas que la CCI soit complice ou co-auteur” prévient Me Derieux.
Pour Me Souhaïli, cet élément pose en tout cas la question de la crédibilité des accusations de son client. “On a donc cet organisme qui menace, avec pour certains des mises à exécution où on enlève des bateaux pour en mettre d’autres. Les usagers se battent aussi contre des prestations payées en espèces et pour lesquelles aucune comptabilité n’est tenue, c’est ça que M. Varela dénonce. Alors oui il parle de façon exagérée, mais est ce que ce qu’il dénonce est mensonger ? Nullement.” Pour lui, Patrick Varela est un “lanceur d’alerte” face à une CCI qui “n’aime pas qu’on parle d’elle en mal”. “M. Varela, il dénonce une situation de fait, il est devant le tribunal car on veut le museler. Il n’a pas d’animosité mais il a un franc-parler. Concernant le délit de favoritisme, on peut se poser la question, comment se fait il que pendant 8 ans on ait fait avenant sur avenant avant de faire un dossier dans lequel une seule personne a répondu ? C’est dans ce sens là qu’il faut prendre les choses.”
Là où la justice aura à trancher, c’est quand les propos tenus faisaient état d’infractions non définies “infraction sur infraction”, “illégalité totale”, des expressions trop vagues et donc à double tranchant face à la loi de 1881 sur la liberté de la presse à laquelle “tout un chacun est tenu dès qu’il s’exprime en public” rappelle le président d’audience.
Avec tous ces éléments portés au dossier, il n’y avait pas assez d’une demi-heure de délibération pour prendre une décision éclairée. M. Varela est-il un lanceur d’alerte, ou a-t-il porté des accusations sans les précautions nécessaires ? Les trois juges se sont donné une semaine pour trancher.
Y.D.
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