Quel projet de vie pour le petit S.O., découvert abandonné dans un caniveau en 2017 à Kangani ? Le cas de ce bébé, lourdement handicapé par une hydrocéphalie, est symptomatique des “dysfonctionnements” de l’aide sociale à l’enfance de Mayotte selon le bureau du Défenseur des droits qui publie un rapport accablant.
Tout commence en mai 2017, quand le petit est donc découvert, dénutri et gravement malade, dans un caniveau. L’homme qui le recueille le dépose alors au CHM qui le prend en charge pendant plusieurs jours. Le bébé, âgé d’environ un an à 18 mois, fait l’objet d’une évacuation sanitaire à La Réunion avant de revenir au CHM, et l’hôpital procède à une “information préoccupante”, un signalement sur la situation de l’enfant.
En l’absence de famille connue, le bébé, très fragile, est confié à l’Aide sociale à l’enfance. A ce stade, aucune déclaration n’est faite à l’Etat civil, permettant d’offrir à ce petit un nom et une date de naissance. En somme, une identité. En août 2017, le juge des enfants, alerté, confie officiellement l’enfant à l’ASE, pour une durée d’un an.
“Après on ne sait pas trop ce qui arrive à cet enfant” résume un collaborateur du défenseur des droits, si ce n’est qu’il “arrive chez une assistante familiale et bénéficie de soins”.
Une année s’écoule. L’association Enfance et Famille d’Adoption (EFA976) est sollicitée par le Département en août 2018 et elle réalise que l’enfant n’a toujours pas d’existence administrative. L’association indique au Département ses obligations en matière de déclaration de naissance. Le droit à une identité fait partie des droits fondamentaux de l’enfant. Mais en l’absence de réponse du Département, l’association saisit le Défenseur des droits. On est alors en février 2019. A cette date, le délai fixé par le juge des enfants a expiré depuis 6 mois et l’enfant vit “sans cadre légal”. Le Défenseur des droits se mobilise alors pleinement sur ce dossier alarmant.
Un dossier de 6 pages pour deux ans de prise en charge
“On va alors vite solliciter les différents acteurs, l’autorité judiciaire, le procureur et le juge des enfants et on va demander des explications au Département, suite à ça, on sait que le 6 mars 2019, va être pris par le tribunal un jugement déclaratif de naissance, qui donne un acte provisoire de naissance et une première identité à l’enfant. Le 8 mars est établi un acte de naissance, et le 17 mai, il est admis au statut de pupille de l’Etat et peut être adoptable” relate le bureau du défenseur des droits. L’enfant a alors plus de trois ans, et vient seulement d’avoir un nom et une date de naissance officielle, fixée au 25 mars 2016.
Tout n’est pas résolu pour autant, pointe ce collaborateur du défenseur des droits.
“Ce qu’on a constaté, c’est qu’entre mai 2017 et mars 2019, l’enfant est resté sans identité, c’est la première difficulté. La deuxième, c’est qu’on va constater que le dossier de l’enfant est presque vide à l’ASE et on peut se demander ce qui a été mis en œuvre dans le suivi de cet enfant, que ce soit éducatif, médical, car il a besoin de soins, et on voit une grosse défaillance dans sa prise en charge”.
En effet, le dossier transmis finalement au Défenseur des Droits par le Conseil départemental n’est pas bien épais. “Six pages” nous indique-t-on, qualifiant le dossier de “lacunaire”. Dedans, pas de dossier médical, alors que l’enfant a vraisemblablement dû être pris en charge régulièrement, ni de projet pédagogique. Aucune information sur sa vie avec l’assistante familiale à laquelle il a été confié parmi une dizaine d’autres enfants. En résumé, “la prise en charge semble très vide” déplore ce collaborateur de Claire Hédon, la signataire du rapport.
Pis, ce n’est qu’après que la défenseur des droits a saisi la justice de Mayotte que le Département fait des démarches pour que l’assistante familiale puisse bénéficier d’une aide à domicile et de matériel adapté, que l’enfant voie son handicap reconnu par la MDPH et se voie ouvrir des droits à l’assurance maladie. Difficile d’imaginer comment dans ces conditions l’enfant a pu être pris en charge correctement, dans une famille de 10 enfants dont 4 placés, sans matériel adapté à son handicap ni professionnel formé à ses côtés.
Malgré “de multiples relances”, le bureau du Défenseur des droits n’a plus eu depuis de nouvelles du Conseil départemental sur cet enfant. “Ce qui est marquant dans ce dossier, au delà des défaillances du conseil départemental qui n’a pas répondu aux besoins de l’enfant, c’est le fait que le CD ne nous réponde plus, il ne nous a pas répondu depuis notre décision de novembre 2019, alors que nos recommandations attendaient une réponse dans un délai de 3 mois. On ne sait pas ce qui a été fait.” De son côté nous indique-t-on, “l’association enfance et famille craignait que d’autres enfants puissent être dans la même situation, mais on n’a jamais pu obtenir d’éléments supplémentaires”.
C’est à cause de ce silence radio assourdissant que le Défenseur des droits a fini par décider de la publication d’un rapport au Journal Officiel, une mesure rare.
“C’est un cas d’école qui justifie qu’on rende ce rapport public et nominatif, alors qu’habituellement les décisions sont anonymisées. Notre but est de faire avancer les choses. Mais on est là face à un Conseil départemental qui ne semble pas vouloir prendre en compte ce qu’on a souligné et ne répond pas au défenseur des droits.”
En rendant son rapport public, le Défenseur des droits espère que le Département de Mayotte prendra le temps de répondre à ses sollicitations.
D’autres enquêtes en cours concernant l’Aide sociale à l’enfance de Mayotte amèneront peut-être la nouvelle majorité à plus de transparence et de rigueur dans la prise en charge des mineurs dont elle a la charge ?
Y.D.
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