L’inauguration du centre hospitalier Martial Henry en Petite Terre la semaine dernière, était l’occasion d’aborder avec le ministre des Outre-mer la délicate question de la santé à Mayotte. Si les infrastructures sont programmées, les professionnels se font rares dans certains secteurs. Impactant jusqu’à un bloc opératoire en crise qui devrait fermer ces mois de septembre et octobre 2021, les urgences ne seront donc plus assurées : « Durant les deux derniers trimestres 2020 et le premier trimestre de 2021, les opérations de chirurgie programmée n’ont pu avoir lieu », nous informait un médecin. En cause, le manque actuel d’infirmiers anesthésistes diplômés d’Etat (IADE) et d’infirmiers de Bloc opératoire Diplômés d’Etat (IBODE).
Les médecins présents lors de la visite ministérielle nous ont confirmé cet état de fait. Nous avons alors interpellé Sébastien Lecornu qui invoquait une crise nationale, « vous êtes dans la même situation qu’en Guyane ». Or, Mayotte bat tous les records avec 94 médecins pour 100.000 habitants (voir graphique). Il nous avait répondu « attractivité » du territoire : « Il ne s’agit pas d’un problème de rémunération, les postes sont ouverts, mais il n’y a pas de candidats, mais de contexte. Le soignant regarde ce qu’il peut proposer à son conjoint ou sa conjointe, le niveau de sécurité du territoire et d’éducation. » Si la sécurisation du territoire est à son programme, le ministre ne donnait aucune piste pour répondre à cette crise du bloc qui ne permet pas une prise en charge des malades. D’autant plus que La Réunion étant submergée par une vague Covid, la planification massive d’EVASAN est contre-indiquée.
Faute de réponse, nous avons interpellée l’ex-directrice de l’ARS Mayotte, Dominique Voynet avant son départ, entre deux cartons.
Pas d’ordonnancement de répartition des médecins
Sur le sujet crucial du bloc, l’inquiétude n’est pas levée, au contraire : « Nous n’avons pas d’école d’infirmiers anesthésistes diplômés d’Etat (IADE), ni d’infirmiers de Bloc opératoire Diplômés d’Etat (IBODE), sur le territoire, car nous n’avons pas assez d’activités sur une large gamme pour cela. Nous sommes obligés de travailler avec la métropole ou La Réunion, mais on forme trois fois moins d’IADE et d’IBODE que de besoins. Ils font 5 ans d’étude pour des salaires beaucoup trop bas. Nous avons proposé d’augmenter les salaires, mais la pénurie étant nationale, tous les hôpitaux le font. Nous n’arrivons pas à trouver de solutions. » Et sans solution, l’avenir du bloc est menacé.
En revanche, sur la pénurie de médecins hospitaliers, des solutions existent, que l’on pourrait traduire par, « en France, on n’a pas de médecins, mais on a des idées ». La réaction de l’Etat a été tardive, puisque la suppression du numerus clausus, qui contraignait le nombre de médecins, ne portera ses fruits qu’à la sortie des promotions actuelles, dans 8 à 9 ans. Et tous les ressorts n’ont pas été activés pour Dominique Voynet : « Il n’y a aucune autorité de la part de l’Etat pour négocier avec les médecins leur répartition sur le territoire français. Par exemple, je viens d’apprendre qu’il ne reste plus qu’un seul médecin sur l’île de Groix ! » Une situation issue du même engrenage : en dessous d’un seuil critique, les médecins sur place doivent supporter une charge de travail exagérée, c’est ce qui a incité deux médecins à démissionner à Groix (Bretagne).
Pour l’ancienne ministre, il faut arrêter de raisonner comme si la médecine n’avait pas évoluée, « en cardiologie, il y a 30 ans, c’étaient les médecins qui effectuaient un électrocardiogramme. Ce n’est plus le cas. Il faut réfléchir en terme de Transfert de tâches et lister les actes que l’on peut confier aux infirmiers en toute sécurité, ou à un autre professionnel de santé. » Il en va de même pour les Délégations de tâches, « à Mayotte par exemple, les sages-femmes peuvent poser des ventouses, ça n’existe pas ailleurs ». Dans ces alternatives, la responsabilité du médecin reste engagée.
Les Paramedics américains en prescription
Autre possibilité, avoir recours à des infirmiers en pratique avancée, qu’on a vu se développer cette année en métropole. Des professionnels paramédicaux, par exemple, des infirmiers, peuvent exercer des missions et des compétences plus poussés, jusque-là dévolues aux seuls médecins. « Nous sommes à la frontière entre médecin et infirmier. Avec l’orientation des médecins vers des diagnostics de cas pointus, alors que les maladies connues peuvent être traitées par un infirmier. Ces infirmiers ont un master 2 en pratique médicale avancée. » Une solution déjà mise en place sur des départements en France, « il y en a un qui se forme à La Réunion sur les maladies chroniques des personnes âgées, mais pour que nous en bénéficions, nous attendons un document du ministère de l’enseignement supérieur. »
Outre ces dispositifs opérationnels immédiatement, plusieurs réflexions sont menées, notamment celle sur les professions intermédiaires. « Entre un médecin qui fait 10 ans d’étude et l’infirmier qui en fait 3, on se demande si le juste milieu ne serait pas celui des Paramedics en action aux Etats-Unis. Il s’agit d’un professionnel de santé formé pour être excellent dans un domaine particulier. »
Dernière piste, le partage de spécialistes avec d’autres établissements, ce qui a déjà été mis en place. « On rame pour attirer les ophtalmologistes ou les cardiologues, et quand on en trouve, ils sont tellement débordés qu’ils sont épuisés, et s’en vont. Nous avons déjà illustré l’indispensable coopération lorsqu’il a fallu organiser un plateau de cardiologie interventionnelle à la demande de Total dans le cadre du projet gazier. Nous avons sollicité le groupe de santé réunionnais Clinifutur, qui peut mettre à disposition des cardiologues sur les 12 que compte l’île. Ils viennent en fonction de nos besoins. D’autre part, ici, il n’y aurait pas assez d’actes pour justifier la présence permanente d’un cardiologue qui a besoin de pratiquer souvent pour se maintenir au niveau ».
Autre action de coopération bénéfique pour la population, l’ouverture d’un centre de soins d’ophtalmologie, avec des infirmières formées en métropole, « et le déplacement de spécialistes lorsque des opérations sont programmées. » Nous avions évoqué ce fruit des échanges entre un ophtalmologiste du Mans, Jean-Bernard Rottier, et Dominique Voynet.
Le chantier des solutions alternatives à la pénurie de médecins doit être poursuivi par le successeur de Dominique Voynet… en attendant le jour où les hospitaliers se disputeront pour venir exercer à Mayotte.
Anne Perzo-Lafond
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