Elles étaient quatre femmes à la tribune aux côtés du président du Tribunal judiciaire. Quatre femmes dont les parcours professionnels et personnels ont sans doute pesé dans les discours pour évoquer un sujet encore tabou, la santé sexuelle. Il s’agissait d’inaugurer un lieu unique d’accueil, d’écoute et d’orientation, pour les femmes, les hommes, les jeunes, les vieux : « L’accès à l’information n’est pas aisé à Mayotte, et sur le plan sexuel, c’est encore plus délicat, le sujet reste cantonné à la famille, le mot est tabou », rapportait Roukia Lahadji, présidente de Mlézi Maore (Groupe SOS). Et pourtant, des souffrances il y en a : plus de 2 femmes sur 100 âgées de 15 à 49 ans ont recours à l’Interruption volontaire de grossesse (IVG) à Mayotte (chiffres 2019), dont les trois-quarts ont entre 15 et 19 ans, « certaines ont même 13 ans voire 11 ans », rapporte toujours Roukia Lahadji. Qui l’explique par un manque d’informations : « 40% des 18-44 ans ne prennent pas de contraception, tout comme un tiers des femmes qui ne veulent pas d’enfant. »
D’où la nécessité d’en parler, d’avoir un lieu anonyme, « où on ne juge pas ». Cet Espace de vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS) qui vient d’être inauguré à Kawéni, existe depuis 2019 de manière informelle chez Mlezi, « il fallait se doter de l’ensemble des personnels, et c’est compliqué de trouver une conseillère conjugale et familiale à Mayotte, nous explique Dahalani M’houmadi, le directeur général, nous avons pu en recruter deux sur les trois en exercice, ainsi qu’un psychologue. Et nous voulions trouver un local à proximité des collèges et du lycée dans la zone de Kawéni. »
« Le bras armé de l’Etat pour le maillage territorial »
Il était temps d’ouvrir un local spécifique pour Nassim Guy, Chargée de la prévention et des actions de santé à l’ARS Mayotte : « Nous manquions d’un lieu ressource, accessible à tous, avec une bonne visibilité dans ce quartier sensible qu’est Kawéni. L’accès à l’information permet d’engager au besoin des parcours de soins, et de faire de la prévention notamment sur les violences familiales. Dominique Voynet a d’ailleurs largement soutenu ce projet. »
Pour le mener à bien, Mlezi Maore a pu compter sur l’appui de l’Etat, à travers la Délégation aux droits de femmes, indique Dahalani M’houmadi, « sa directrice ne s’est pas contentée d’un engagement moral, Taslima Soulaimana a assisté à toutes nos réunions d’équipe, c’est rare ! ». « J’étais impatiente depuis 2019 que l’instruction du dossier aboutisse, lui répondait cette dernière, Mlezi est le bras armé de l’Etat pour ce qui est du maillage territorial. Echanger sur la santé sexuelle, c’est fondamental. Le sujet est abordé dans les programmes scolaires, mais le travail est énorme, il faut combattre les idées reçues véhiculées par les réseaux sociaux, etc. »
« Une fille de 13 ans qui accouche, c’est une enfant qui élève un autre enfant »
Pas évident de savoir que la petite rue qui donne sur le collège K2 abrite l’EVARS*, à côté de Médecins du monde. « A 90%, les patientes qui viennent nous voir ont été victime de violences sexuelles, les autres, se sont pour des violences conjugales. Soit elles sont envoyées par des professionnels qu’elles ont rencontrés auparavant, soit c’est par le bouche à oreille », explique le psychologue de la structure qui se déplace un peu partout dans l’île. « Nous étions cette semaine à Acoua, et cet après-midi, nous serons à Sada », rapporte une des deux conseillères pédagogiques et familiales. Un métier en tension, qui n’a pas de formation à Mayotte, « uniquement en métropole ou à La Réunion, il faut savoir que le besoin est naissant à Mayotte alors que partout ailleurs, il existe des professionnels formés et rodés », rapporte le directeur de Mlezi.
Structure dont le professionnalisme était saluée par le président du TJ Laurent Ben Kemoun, et qui va permettre, en diffusant une information à tout public, de « gommer les inégalités sociales », saluait Roukia Lahadji.
Mlézi n’en a pas fini, et va s’attaquer à un autre fléau qui touche les très jeunes, la prostitution : « Nous allons ouvrir un parcours de sortie de la prostitution ici à Kawéni, ainsi qu’à Mtsapéré où nous prévoyons un hébergement momentané pour les sortir de leur environnement nocif », conclut Dahalani M’houmadi.
L’EVARS était inauguré en levant un pan de salouva sur une photo témoin d’un parcours de vie, à 15 ans déjà : « A 15 ans, je voulais une IVG, je ne voulais pas que ma mère le sache, j’ai pu avoir une écoute, et surtout, être conseillé sur les moyens de contraceptions, et de prévention contre les maladies sexuellement transmissibles. » Un moyen d’endiguer les violences sur toutes ses formes, « car une fille de 13 ans qui accouche d’un bébé, c’est une enfant qui élève un autre enfant, ça ne peut pas bien se passer », résumait Roukia Lahadji.
Anne Perzo-Lafond
* Ouvert du lundi au vendredi, de 8h à 16h
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