« A la fin de la réunion, je suis resté assis, et j’ai pleuré ». Après la nuit d’épouvante du 27 septembre, blanche pour la plupart des habitants de Koungou dont beaucoup ont gardé une machette à portée de main, les attentes sont toujours aussi fortes. Les interrogations aussi. Comment a-t-on pu laisser une partie de la population livrée à elle-même ? S’il ne sert à rien d’indexer tel ou tel à posteriori, des décisions objectives doivent être prises en toute connaissance du terrain.
Et ce n’est pas l’impression qu’ont eu les participants à la rencontre de mardi à la mairie annexe, en présence du préfet, du procureur et des forces de l’ordre. L’un des participants est atteint. « Il en est ressorti que la réponse à apporter aux jeunes voyous, ce sont des mesures éducatives, que la prison des mineurs est pleine, et que nous les habitants de ces quartiers, nous devons patrouiller avec les éducateurs pour identifier ces jeunes. Mais j’ai vu ce qu’ils ont fait au domicile de l’ancienne femme du maire, c’est un miracle qu’elle ait été prévenue avant et qu’elle ait pu s’échapper. C’est ce qui nous arrivera, on ne peut pas nous demander de nous exposer comme ça. Il faut appréhender les leaders de ces bandes et les sanctionner à la hauteur de leurs méfaits ». L’homme qui nous parle travaille tous les jours à l’insertion des jeunes en errance.
Les mots « quitter Mayotte », reviennent en boucle chez les plus actifs de ces quartiers, « on craint pour nos vies ». N’oublions pas que, hormis le retour au calme à Koungou, il faut travailler à celui de Combani, de Dzoumogne, et parvenir à une reprise des transports scolaires pour que les jeunes les plus en difficulté qui prennent ces bus ne soient pas tout à fait déscolarisés.
Les premières réactions de condamnation passées, les propositions fusent à l’endroit des décideurs. Elles concourent toutes aux mêmes points, sécuriser et développer.
Dupliquer la Police régionale des Transports
Il était l’élu en charge de l’action sociale du Département, et réagit en tant qu’observateur : Issa Issa Abdou met notamment l’accent sur l’Ordonnance de 1945, remplacée ce jeudi par le code de justice pénale des mineurs. « Avant tout, il faut sécuriser le territoire, on vient d’attaquer un symbole de la République. En 2018, le préfet a décrété la Zone de sécurité prioritaire de La Vigie-Kawéni, il faut l’élargir à tout le territoire, en mettant les moyens humains et matériels nécessaires. » Ce n’est sans doute pas impossible, peu d’évènements s’étant produits la nuit suivante à Koungou, le 28 septembre alors que se poursuivaient les démolitions.
Ensuite, et sur la problématique des transports scolaires, l’ancien élu rapporte l’existence en métropole d’une Police régionale des transports, « un dispositif piloté par l’Etat que l’on pourrait mettre en place ici. » Ce service spécialisé de la Police nationale assure notamment à Paris, la sécurisation des transports dans le métro, dans le Transilien, et sur les services nocturnes des réseaux.
Ensuite, sur la question des mineurs isolés, il réaffirme leur gestion par le Département non seulement obligatoire, mais indispensable : « C’est peu populaire, et contrairement à ce qui se dit, nous ne faisons pas ça pour les anjouanais, mais pour les sortir de la rue et qu’ils ne nous pourrissent pas la vie. Si l’Etat doit assumer sa part en empêchant de nouvelles entrées, nous, nous devons prendre en charge ceux qui sont sur le territoire. Le conseil départemental doit donc renégocier la convention en obtenant des compensations de l’Etat à hauteur du nombre d’enfants à prendre en charge. En 2016, c’était un début. »
Prouver la conscience de l’acte chez les moins de 13 ans
L’ordonnance de 1945 sur la justice pénale des mineurs a été revue et corrigée par le ministre Dupont-Moretti, puisque ce 30 septembre 2021 entre en vigueur le code de justice pénale des mineurs. Il ne s’éloigne pas de l’ordonnance de 1945 dont il garde la logique. Si les intentions sont bonnes, il sous-entend de se doter des moyens à la hauteur, sous peine d’aggraver la situation.
Le code de justice pénale va permettre de juger les mineurs plus rapidement par une première audience dans les 3 mois, qui devra déterminer la culpabilité du mineur et le cas échéant les réparations accordées à la victime. La seconde audience devra déterminer la sanction pour le mineur.
Il atténue notamment la responsabilité pénale des mineurs en fonction de leur âge, autrement appelée, « l’excuse de minorité », ce qui était déjà plus ou moins le cas. Les mineurs de moins de 13 ans sont supposés ne pas discerner la gravité de leurs actes. Est toutefois mentionné que « est capable de discernement le mineur qui a compris et voulu son acte et qui est apte à comprendre le sens de la procédure pénale dont il fait l’objet ». Fragile. C’est donc du cas par cas. Il fallait en tout cas fixer un âge minimum de discernement, c’était demandé par la Convention internationale des droits de l’enfant. La détention provisoire ne sera prononcée que pour les cas graves.
Autre notion introduite par le texte, « la primauté de l’éducatif ». La mesure éducative judiciaire peut comporter l’insertion, la réparation, le placement, l’interdiction de paraître dans des lieux ou d’entre en contact avec la victime ou les coauteurs des faits. Une mesure bénéfique si l’on met les moyens sur cette réponse éducative.
Pour Issa Abdou, il faut arrêter l’ambiguïté, « un mineur délinquant doit être qualifié comme tel et traité en fonction. Et chacun doit jouer sa partition, notamment les parents ou les référents parentaux. » Rajoutons que tout comme les employeurs de travailleurs clandestins sont poursuivis devant les tribunaux, ceux qui instrumentalisent les enfants pour créer le chaos doivent être punis à la hauteur de la maltraitance qu’ils mettent en œuvre.
Une autre proposition qui ne fait pas dans le tout sécuritaire, celle de Soulaimana Noussoura, ancien leader CFE CGC. Il revient sur les violences à Koungou et à Combani, « des évènements qui ont mis à nu une situation d’insécurité dans la vie quotidienne de nos concitoyens : l’insécurité scolaire, l’insécurité sanitaire, l’insécurité économique, l’insécurité sociale (…) d’accès à l’eau, à la santé, aux équipements structurants, etc. », et demande un véritable plan Marshall pour un développement économique et social pour Mayotte ». Il le demandait déjà en 2011.
Des investissements sont en cours, et les mesures d’insertion finiront par porter leurs fruits. En attendant, il faut que les flambées de violence soient circonscrites et les routes sécurisées quelque soit l’heure. C’est un dû envers la population.
Anne Perzo-Lafond
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