« L’incendie de la mairie, c’est la goutte d’eau en trop, déclare Madi Madi Souf, le président des maires de Mayotte, l’île va mal, les jeunes ne peuvent pas aller en classe parce que des bus se font caillasser, il faut afficher une solidarité entre nous, c’est pour ça que j’ai voulu cette marche ‘Debout Mayotte’. Il faut montrer aux voyous que s’attaquer à la mairie, c’est s’attaquer aux mahorais. Nous demandons à l’Etat d’aller plus loin dans ses efforts de lutte contre l’insécurité ». Eux, ils vont aller plus haut, en demandant un rendez-vous au président de la République et au premier ministre, en profitant du Congrès des maires. « Nous allons rebondir sur cette symbolique qu’est l’attaque de la mairie pour demander des réponses aux violences sur le territoire. »
Une petite dizaine de mairies était représentée, celle de Mamoudzou plus fortement, et des conseillers départementaux étaient présents, de Koungou bien sûr, mais aussi Madi Velou, de Dembéni, vice-président chargé du social. Ce dernier encourage les actions de démolition menées par l’Etat : « Mayotte a besoin de logement sociaux. Sur ce terrain de Carobole en partie propriété du conseil départemental, nous allons pouvoir mettre en pratique une délibération votée en 2018 par le conseil départemental sur l’acquisition sociale et très sociale. Nous avons pris des engagements auprès des communes et de la SIM. Je voudrais quand même signaler que nous avons dû fermer nos services sociaux pendant deux jours sur cette commune, nos agents ayant été victimes de violences. On ne peut pas laisser une minorité faire la loi. »
« Il n’y a plus de respect des biens et des personnes »
Les individus qui ont brûlé la mairie de Koungou et tenté de le faire contre le poste de police municipale, veulent s’en prendre à ceux qu’ils jugent responsables de la démolition du quartier insalubre de Carobole, et qui ont envoyé les procès verbaux d’expulsions des logements insalubres. « Certains habitants qui avaient leurs cases là disent que si l’autre candidat aux élections avait été élu, les cases n’auraient pas été détruites. C’est pour ça qu’ils en voulaient au maire. » L’ancienne femme de Assani Saindou Bamcolo a été visée par des intrus qui ont saccagé sa maison, l’adjoint au maire à la sécurité a été menacé, et, par amalgame, la conseillère départementale de Koungou nous indique avoir été physiquement menacée. La plainte de l’élu de la mairie a abouti à la garde à vue d’un individu de 42 ans, qui aurait été condamné à 10 mois de prison avec sursis.
Pour un cadre de la mairie de Mamoudzou, ce n’est plus de la délinquance, « c’est la guerre. On n’a pas conscience de la situation réelle de Mayotte. Ce n’est pas une histoire de moyens pour contrer ces violences. Des forces de l’ordre, il y en a, mais c’est un problème de volonté et d’organisation. Ce n’est pas non plus le volume des entrées qui est en cause – le préfet Colombet nous avait indiqué que pendant la période Covid, une centaine de jeunes étaient arrivés des Comores – mais c’est le respect sur trois points : du bien commun, du bien privé et le respect de l’autre ». Comme en écho, Mohamed Moindjié, DGS de l’Association des maires, juge que « nous sommes sur une guerre des valeurs. Nous mêmes les mahorais, nous avons glissé vers la valeur argent. Nous ne sommes traditionnellement pas hostile à l’étranger, mais nous demandons qu’ils adhèrent à nos valeurs de respect. Il faut gagner la guerre des valeurs. »
Publicité foncière pour Mayotte aux Comores
Pour le cadre mamoudzien qui souhaite rester anonyme, les gouverneurs des îles des Comores attisent le feu, « le gouverneur d’Anjouan avait invité à prendre des kwassa pour venir en nombre à Mayotte, alors qu’il a envoyé ses enfants se scolariser à Dubaï. Pour les dirigeants comoriens, le ‘way of life’, c’est de venir à Mayotte. Ils disent aux habitants qu’ici le terrain n’est pas divisé, c’est à dire qu’on peut faire ce que l’on veut avec le bien de l’autre. » Une publicité foncière en quelque sorte. Et il sait de quoi il parle, « j’ai acheté un terrain à Tsoundzou en 2010, en signant un prêt sur 12 ans. Je suis parti deux semaines en vacances en 2012, et à mon retour, il y avait 5 cases. J’ai écrit au préfet, à la police nationale, au tribunal, une enquête a été ouverte par le service juridique de la DEAL, et aucune décision n’a été rendue alors que je paie des mensualités, les taxes foncières et les frais d’avocats. Il faut déjà commencer à appliquer nos lois. »
A côté, des femmes drapées de leurs salouvas au visage de Zena Mdere, sont remontées. Un peu à l’écart, une autre nous explique : « Elles viennent de voir les dégâts sur la mairie, elles sont en colère. C’est normal. C’est un manque de respect pour ceux qui nous ont accueillis », rapporte-t-elle. Arrivée il y a 29 ans de Grande Comore, elle ne comprend pas ces comportements, « les mamans de ces jeunes nous disent qu’elles ne les tiennent plus, et les papa, une fois que la graine est dans le ventre, ils partent. Quand nous, nous sommes arrivés à Mayotte, il était hors de question de nous approprier un terrain qui ne nous appartenait pas, ‘nous ne sommes ni des voleurs, ni des mendiants’, avait répondu ma mère. »
Un peu comme en métropole, nous serions déjà sur une 2ème génération d’immigration qui ne possède pas les mêmes repères que la première.
Anne Perzo-Lafond
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