« Comme nous avions du mal à construire des écoles à Pamandzi, j’avais proposé qu’on recrute un ingénieur, mais ça coûte cher, toutes les communes ne peuvent pas se le permettre ! » C’est Madi Madi Souf, le président de l’Association des Maires de Mayotte (AMM) qui parle ainsi, face à l’enjeu d’affluence scolaire chaque année que ne peuvent relever les communes.
Un constat qu’avait fait le recteur en arrivant sur l’île, « nous avons chaque année plus de 3.000 élèves en plus des effectifs habituels dans le premier degré », c’est à dire 100 classes à sortir de terre. Gilles Halbout dont la ligne directrice reste une montée en compétence du territoire sans reprise en main par l’Etat, en tire une conclusion : il faut mettre le paquet sur l’ingénierie, sur les compétences, pour entreprendre. Comme le dira le préfet Thierry Suquet en saluant « l’excellent travail » mené et validé par son prédécesseur, « ce n’est pas qu’on manque d’ingénierie en règle générale à Mayotte, on en manque sur la problématique de masse à laquelle on est confronté. » En référence à l’afflux d’enfants, « c’est impossible de continuer à découvrir à deux mois de la rentrée, qu’on a de nombreux élèves supplémentaires et qu’il faut construire des écoles. » Même si l’INSEE livre des données démographiques, c’est sans compter les arrivées en cours d’années et les difficultés rencontrées par les communes pour sortir des écoles à ce rythme. Un défi inégalé en France.
Le recteur monte donc un projet qui intègre notamment l’Agence Française de Développement (AFD). Elle va financer de l’ingénierie à hauteur de 1,5 million d’euros à travers une convention quadripartite, avec le rectorat, la préfecture, et l’AMM. « 1,5 million d’euros, c’est à la fois beaucoup et peu, on ne pourra pas renforcer toutes les communes », met en garde Gilles Halbout. Qui était largement remercié par Madi Souf, « un homme de terrain, à l’écoute, c’est une grande chance pour Mayotte de vous avoir monsieur Gilles. »
Un tremplin à saisir pour les communes
“Monsieur Gilles” le souligne, “Ce n’est pas une question de moyens, l’Etat met des dizaines de millions d’euros chaque année sur la table”. Et souligne que sur les 50 millions d’euros programmés annuellement sur les constructions scolaires des premier et second degrés, tout n’est pas consommé. Le SGAR Jean-Marie Renaud signalait lors de cette signature que 30 millions d’euros étaient réellement dépensés. Mais le second degré porte davantage de réalisations. Retenons donc ce que rapportait la secrétaire d’Etat à l’éducation prioritaire, reprenant les chiffres du recteur de Mayotte, « sur la période 2014-2018, le taux de réalisation des constructions de salles de classe est de 23 % ».
Pour relever le défi de la scolarisation de tous les enfants, meilleure des luttes contre l’exclusion et la délinquance, et améliorer le système éducatif du 1er degré, le secrétaire départemental du FSU-SNUipp Rivomalala Rakotondravelo, demande constamment une reprise en main des constructions par l’Etat. Il s’agit d’un mix ici, où les communes gardent la main sur la décision de construction, avec un appui supérieur à ce que fournissait la DEAL (Equipement). L’AFD va donc prendre en charge la mise à disposition d’ingénieurs, ils seront entre 5 à 7, à intégrer momentanément les mairies demandeuses, et faire le pont avec la DEAL pour lancer des constructions.
Gilles Halbout décrit la situation : « Actuellement, si certaines communes sont charpentées et ont de bonnes relations avec la DEAL, toutes ne sont pas en capacité de décider quel type de marché elles veulent engager. Cette convention va permettre de mettre en place des hommes et des femmes qui vont identifier les besoins et décider qui peut les mettre en place. » Il voit à travers cette convention 5 avancées : « C’est un renfort des moyens de l’Etat qui sont déjà considérables dans les constructions scolaires, c’est une transformation des communes qui va leur permettre d’accroitre leurs compétences, avec des moyens sécurisés, uniquement dédiés au renforcement des programmes de construction, avec des résultats que l’on veut rapides et tout en faisant en sorte, enfin, que chacun conserve ses responsabilités. Les communes sur la maitrise d’ouvrage, l’Etat financeur et coordonnateur et le rectorat qui formule les besoins, “parce que c’est à notre porte que viennent frapper les familles à la rentrée scolaire. On ne se laissera plus dépasser par les évènements », se promet le recteur.
« Des écoles de taille raisonnable »
Ce million cinq d’expertise se fait à titre « expérimental », souligne Charles Trottmann, directeur du département des Trois Océans de l’Agence française de développement (AFD), présent à Mayotte. C’est donc une première qui prend appui sur les fonds de financement du ministère des outre-mer, en ce sens qu’il s’agit « de mettre une expertise à disposition des communes avec un effet transformateur pour qu’elles puissent ensuite pérenniser ces investissements. C’est une sorte de compagnonnage. »
Si les constructions scolaires sont pour l’instant les seules visées, « débouchant sur des écoles de taille raisonnables et qui réduisent les déplacements pour les enfants », note Thierry Suquet, le représentant de l’Etat voit plus loin, « ce dispositif doit pouvoir être duplicable dans d’autres secteurs. Lors de sa venue, le ministre Sébastien Lecornu a indiqué réfléchir à un établissement public qui permettrait de déclencher des constructions pour ensuite, repasser la main aux communes, toujours sous réserve qu’il y ait une volonté politique du maire derrière. »
Pour conclure sur le rôle de chaque acteur, la DEAL va piloter la mise en œuvre de la convention avec les mairies appuyées par cet apport d’ingénierie, en déclinant les projet inscrits au Plan pluriannuel de constructions scolaires, dont le foncier a été validé en amont par l’Etablissement public foncier (EPFAM).
Une convention qui n’était « pas naturelle », tel que le confie le préfet, mais qui illustre la politique à mener à Mayotte : ne pas craindre d’innover.
Anne Perzo-Lafond
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