Les décibels étaient poussés quasiment à fond ce mercredi du côté de la défense du dossier Nel contre une partie de ses salariés. C’est que 600.000 euros sont en jeu. C’est la décision du tribunal du Travail du 14 mai 2021, qui fait droit aux 24 salariés réclamant des arriérés de plusieurs primes, de transport, d’astreinte, de risque, d’incommodité, de supplément familial, mais aussi, le règlement des salaires pendant la période de grève du 23 octobre 2017 à juillet 2018, se basant sur la loi, « les salariés contraints à la grève pour demander le paiement régulier de leurs rémunérations peuvent ainsi prétendre à une indemnisation des heures de travail perdues du fait de la grève ».
Car des grèves menées par une partie des salariés, il y en a eu à Longoni, dont 3 en 2017, pour à la fois demander leur dû, à la fois exiger que le protocole d’accord de la précédente soit respecté. Cela aurait pu durer longtemps comme ça, si la CGT Ma n’avait incité à déposer plainte. Bien lui en a pris puisqu’elle était également destinataire de 22.000 euros de dommage et intérêt et de prise en charge des frais de justice.
Le point de discorde, « le nœud gordien », comme le rappellera Me Fatima Ousseni qui défend Ida Nel, présidente de MCG, c’est l’application ou non de la Convention Collective Nationale (CCN) Unifiée Ports et Manutention… Qu’Ida Nel avait commencé à mettre en place lorsqu’elle était présidente de la Chambre de Commerce et d’Industrie (CCI) de Mayotte lorsque cette dernière gérait alors le port de Longoni. C’était avant 2013 et l’octroi de la Délégation de Service Public du port de Longoni à Ida Nel par le conseil départemental. Elle prétend désormais que cette convention collective ne s’applique pas, alors que Me Ben Achour soutient qu’elle est généralisée aux DOM « depuis 2012 ». C’est dans ce sens que le juge du tribunal du Travail avait tranché.
Évaluer l’excessif
Ida Nel faisait appel de cette décision, la date du procès n’est pas encore connue. Mais l’appel n’étant pas suspensif, le tribunal du travail a ordonné qu’une majorité de la somme de 600.000 euros soit versée, en dépassant même la limite de 9 mois de salaire habituellement exigée par la loi. La présidente de MCG n’ayant pas versé un centime, les salariés par le biais de leur avocat demandaient « l’exécution provisoire » de la décision de justice. C’est ce qui était jugé ce mercredi, après un premier renvoi introduit par la défense il y a dix jours.
Pour sa défense, Ida Nel soutient avoir « déjà tout payé », et la voix de Fatima Ousseni s’élevait, agacée, dans la petite salle de la Chambre d’Appel, « le tribunal du travail a donné droit aux arguments de certains des salariés qui ne pouvaient plus prétendre à rien, c’est un jugement en catimini et dupliqué 24 fois sans lire mes conclusions ». D’autre part, l’avocate évoque les 600.000 euros, un versement « aux conséquences excessives », alors que « Ida Nel doit faire face au paiement de ses charges habituelles et provisionne pour le maintien des installations en état dans le cadre de son obligation de service public », en rajoutant, « la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a ! »… Léger murmure amusé sur les bancs de la défense.
Dans ses conclusions en défense figurait « la situation financière particulière dans laquelle se trouve la société MCG ». Justement, son contradicteur à la barre lui reproche de ne pas avoir dévoilé l’état de ses comptes dans ses conclusions, « nous publierons les chiffres », a assuré Me Ousseni.
« Mensonges et arbitraire »
Comme nous l’avions dévoilé, le conseil portuaire lui aussi se plaignait de ne pas avoir de données chiffrées. Les comptes qui ont finalement été fournis, présentaient un bénéfice de 3,2 millions d’euros en 2019 et de 850.000 euros en 2020. Mais avec des contradictions qui incitaient les acteurs portuaires à ne pas approuver ses comptes. D’autre part, sur le plateau de Mayotte la 1ère, la femme d’affaire se disait optimiste sur le développement de son chiffre d’affaires, au point que cela allait abonder la redevance due au conseil départemental. Enfin, elle aurait récemment acquis deux nouvelles grues, sans accord du président du conseil départemental qui s’en étonnait dans une lettre de mai 2021 (Courrier PCD à MCG 31 mai 2021 – Achat de deux nouvelles grues).
Une gestion que l’avocat Ben Achour qualifiait au maximum d’« arbitraire », mais un qualificatif que le président du conseil départemental pourrait bien amplifier prochainement selon nos informations.
En réponse aux salaires qui auraient été régularisés, l’avocat qualifiait l’argument de « mensonge », et soulignait que cela concernait « partiellement 8 salariés », « et la décision du juge en première instance en tient compte ». Revenant sur les « conséquences excessives » pour la société, l’avocat faisait remarquer que « on parle des salaires soustraits depuis des années par ladite société ».
De son côté, MCG propose de provisionner les sommes à verser sur un compte où elles seraient consignées, c’est à dire non versées aux plaignants, « car nous craignons de ne pas être remboursés en cas de victoire en appel », ces derniers étant peu solvables. Un argument que Me Ben Achour muait quasiment en trait d’humour, « c’est MCG qui les maintient en précarité en ne leur versant pas leur dû ! »
Le président de la Chambre d’appel annonçait un délibéré pour le 26 janvier 2022.
Anne Perzo-Lafond
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