Le Covid avait été désigné comme fautif par les instances de l’ARS Mayotte pour avoir mis entre parenthèses les campagnes de prévention. Il y a un an dans une tribune, Mouhoutar Salim, en sa qualité d’écrivain, titrait « Pourquoi il faut relancer une campagne de planification familiale à Mayotte ». Rien n’a cependant été entrepris et nous allons dépasser les 11.000 naissances cette année.
La campagne sur une alimentation saine et équilibrée, notamment pour prévenir le diabète, est donc la bienvenue. Le Programme mahorais alimentation, activité physique et santé est une déclinaison du Programme national nutrition santé 2019-2023, le 4ème du nom. Il est doté de 3 millions d’euros sur trois ans.
Le nouveau venu à la tête de la santé à Mayotte, Olivier Brahic, inaugurait son futur cycle de conférence de presse en livrant le contexte à Mayotte et en lâchant quelques statistiques : « Il faut travailler en amont des hospitalisations, sur l’alimentation et les activités physiques. La prévalence des maladies chroniques est supérieure aux moyennes nationales, avec un adulte sur deux en hypertension, une femme sur deux en situation d’obésité, un adulte sur dix diabétique, et un enfant sur dix dénutri, nous avons des cas de béribéri ».
Un état des lieux des personnes les plus exposées, ou plus fréquemment désignées sous le terme de « présence de comorbidité » lors des deux flambées épidémiques Covid à Mayotte. Une bonne partie des 185 décès enregistrés, si ce n’est quasiment tous, présentait ces signes. Il y avait donc urgence à agir.
« Commencer par une marche d’une demi-heure »
Mieux vaut tard que jamais, et c’est donc une vaste campagne à l’image du « Manger sain, bouger malin », qui se dessine, avec de nouvelles dimensions. Données par les partenaires de l’ARS : la préfecture de Mayotte, le conseil départemental, la Caisse de Sécurité sociale. La première a un vrai rôle à jouer, déclinait le préfet Thierry Suquet, en terme de protection des consommateurs, « avec un même degré d’exigence de qualité alimentaire que sur le territoire national » – ce n’est pas gagné – mais aussi en terme de structuration des filières, « nous l’avons fait pour les œufs, la volaille et les productions laitières, et nous continuons à travailler avec les producteurs pour notamment approvisionner les cantines scolaires ». Toucher les enfants, c’est pour le préfet donner une première bonne information sur une « nourriture équilibrée ». Un objectif vers lequel tendre mais qui est encore loin d’être atteint avec des collations sommaires, qui restent peu financées. Les choses devraient changer avec l’arrivée des cuisines centrales pour ce qui reste pour beaucoup d’enfants, « le seul repas de la journée ».
Le conseil départemental va décliner le programme avec ses PMI, « notamment sur l’allaitement maternel », assurait Echati Issa, conseillère départementale de Koungou, et avec les Centres communaux d’Actions sociales des communes.
La CSSM, n’étant pas éligible aux fonds nationaux de prévention santé, accompagne le programme, expliquait Ymane Alihamidi Chanfi, sa directrice : « Nous travaillons déjà sur le sujet de la prévention et sur la qualité nutritionnelle à travers les programmes ‘Manger et bouger’ et ‘Nutrition’ auxquels nous versons 200.000 euros, et nous accompagnons les Maison de santé pluridisciplinaires sur la prévention des risques maladies. Nous devons revenir à Mayotte à une alimentation saine. »
A travers ces 4 partenaires, ce sont 45 structures qui participent au programme autour de 5 objectifs : Eduquer la population aux bon comportement, par le biais notamment d’émissions de cuisine, de la fête du goût, Inciter à l’activité physique, « une marche d’une demi-heure, c’est déjà pas mal », glissait Thierry Suquet, Accéder à des produits alimentaires recommandés en améliorant l’offre alimentaire et en structurant les filières, Accompagner les initiatives territoriales et Suivre l’évolution des indicateurs portant sur l’alimentation et la sédentarité.
Casser du sucre sur le dos des fraudeurs
A l’ARS Mayotte une petite équipe est constituée autour de ces objectifs. On attend beaucoup de la diffusion de l’information par les CCAS, en proximité avec la population. Car il faut casser les habitudes.
Notamment la consommation de produits de compléments alimentaires achetés par certaines femmes en pharmacie. Une habitude qui semble se tarir, nous affirme-t-on, sans grande certitude. Les bouenis avec des formes rondelettes ne seraient plus le canon de beauté, rien d’évident cependant, et un vrai travail est à faire sur le sujet, qui demande une connaissance fine du territoire, « nous faisons un travail là-dessus en PMI » rapporte l’équipe qui mène le programme.
Autre difficulté sur laquelle la préfecture affirme travailler, celui de la teneur en sucre des aliments, encore exagérée dans les outre-mer, bien qu’interdit dans la loi Lurel. Cette dernière ne porte pas seulement sur les boissons sucrées, mais bien sur « l’interdiction pour les produits alimentaires vendus dans les DOM et collectivités d’outre-mer, d’avoir une teneur en sucres ajoutés supérieure à celle d’une denrée similaire de la même marque distribuée en France hexagonale ». Donc les laitages y compris.
La DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes), dont on espère que les équipes ont été renforcées, serait sur le coup, en procédant à des vérifications, « il s’agit aussi d’inciter les industriels par des échanges continus », indiquait le préfet. Mais il faut taper plus fort. On se souvient que la ministre Annick Girardin avait soulevé le problème à la Laiterie de Mayotte en avril 2019, et n’avait pas caché sa contrariété d’apprendre que la teneur en sucre du yaourt était plus élevé ici, « parce que le consommateur le préfère comme ça », avait indiqué le directeur d’alors.
La même DGCCRF doit aussi s’atteler à mieux contrôler les produits périmés et les ruptures de la chaine du froid dans les supermarchés.
Ymane Alihamidi Chanfi indiquait que dans le cadre de la restauration scolaire, des prestataires ont été « rappelés à l’ordre en raison de boissons fournies à forte teneur en sucre ». Elle appelait d’ailleurs les collectivités à s’impliquer financièrement dans des collations scolaires pour l’instant sommaires, « qui ne sont pour l’instant financées que par le rectorat et les parents ».
Attention donc à ne pas partir de zéro quand des constats et des expériences ont déjà été tentées.
Anne Perzo-Lafond
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