« Mais qu’y a-t-il dans ce projet de loi qui a incité à porter un avis défavorable ? » La question de notre présentatrice vedette de Mayotte la 1ère Géniale Attoumani au Journal télévisé est évocatrice du peu de clarté qui entoure le projet de loi « pour le développement accéléré de Mayotte ». Et peu parmi les élus sont capables de sortir un argumentaire fourni. Tous l’ont-ils lu ?
Après l’avis défavorable des élus départementaux ce jeudi sur le projet de loi pour le développement de Mayotte, nous nous sommes penchés sur les 85 propositions envoyées par le ministère des outre-mer la veille de leur avis. Pourquoi n’ont elles pas été envoyées avant ? Elles listent en détail les points abordés dans chacune des 4 parties du projet de loi, Immigration/insécurité, Convergence des droits sociaux, Développement structurel du territoire, et Insertion des jeunes, ainsi que ceux liés au projet de loi organique portant sur l’évolution des institutions.
Elles sont scindées en deux, comme l’avait demandé le Conseil économique et social il y a quelques mois. Une petite partie sera traitée dans la loi, alors qu’une grande majorité dépend de décisions politiques. Beaucoup ont été déjà initiées, et c’est à saluer, comme l’extension de certaines prestations familiales, la prorogation de la Commission d’Urgence Foncière (CUF) sous sa forme actuelle jusqu’au 1er janvier 2023, le déploiement des actions cœur de Ville, l’augmentation du financement des collectivités locales par actualisation de leur population malgré le loupé du décret, etc.
Et les autres sont juste dépendantes des moyens octroyés sur des politiques déjà mises en œuvre : la montée en puissance de la police et de la gendarmerie, l’amélioration du maillage des forces de sécurité intérieure, le contrôle des flux financiers par Tracfin entre Mayotte et les Comores, etc.
Des mesures relevant d’un contrat de projets
D’autres mesures sont nouvelles. Le président du Département s’étonnait de n’avoir reçu cette sorte d’annexe explicative au projet de loi que la veille de l’avis attendu, alors qu’il permet de mieux en appréhender le contenu. Cela aurait permis de clarifier le débat.
Le Conseil économique, social et environnemental de Mayotte (CESEM), ayant rendu sur le projet de loi un avis circonstancié, nous nous sommes adressés à son président, Abdou Dahalani, pour avoir son opinion sur cette série de 85 mesures. Nous l’avons également interrogé sur la nécessité de coupler au projet de loi de développement un projet de loi organique sur l’évolution des institutions, qui continue à polluer le débat pour être mal compris.
« J’ai lu les 85 propositions que vous m’avez transférées, et je considère que l’essentiel est mis en œuvre ou en voie de l’être, 10% d’entre elles sont nouvelles », résume Abdou Dahalani : « Il s’agit de la nomination d’un expert de haut niveau pour amplifier la politique de lutte contre l’habitat illégal au 1er trimestre 2022, mesure 21, de la conduite d’une mission d’inspection sur le RSA et autres allocations menée à l’été 2021, mesure 34, de mener à terme la construction du 2ème hôpital, mesure 35, de la mobilisation des 65 millions d’euros dans le cadre du Ségur de la santé, mesure 36, du travail avec le conseil départemental sur la protection de l’enfance dans le cadre du renouvellement de la convention de 9,6 millions d’euros, mesure 37, de l’état des lieux des finances du conseil départemental, mesure 80 et l’accompagnement de Mayotte dans l’organisation des Jeux des Iles de 2027 ».
Une liste aussitôt coiffée d’un bémol, « si les objectifs ont été définis, puisque l’exposé des motifs a été envoyé, nous n’avons ni calendrier, ni schéma de financement. Or, par le passé, une méthode a réussi, la Convention Etat-Mayotte de 1986. Tous les investissements à réaliser étaient listés, répartis sur un calendrier précis et les financements pointés. » Une sorte de contrat de projet Etat-région qui a débouché sur les routes que nous connaissons actuellement, « mais aussi les dispensaires, les adductions d’eau, les écoles, etc. Si on avait travaillé sous ce format, ça aurait réglé beaucoup de choses. Or, là, nous ne savons pas quand et combien de salles de classes supplémentaires seront construites, quand la piste longue, etc. »
Le projet de loi organique à traiter à part
Dans le prolongement de « l’avis réservé » livré par l’institution qu’il préside, il commente, « dans ce projet de loi, il y a beaucoup de bonnes choses, mais sur les 700 mesures listées lors des ateliers, seules 85 ont été retenues, c’est trop peu. Et sur les Assises de la sécurité de Mamoudzou, seules 5 sont inscrites au projet de loi. »
Enfin, le président du CESEM appelle à mettre en place le droit commun, rien que le droit commun, « on ne peut pas continuer à traiter des thématiques comme si Mayotte était à part dans la République, sur l’immigration ou la délinquance. »
Le second projet de loi, celui qui transforme Mayotte en un Département-Région, cristallise tous les fantômes ici, et a fait plonger les deux textes à lui tout seul. On désespère que ce que le président Soibahadine avait rebaptisé toilettage institutionnel pour modérer l’émotion qu’il suscitait, et qui avait déjà bloqué sa présentation au Parlement, soit un jour compris à la hauteur du défi qu’il nécessite. « Là encore, c’est qu’il n’est pas suffisamment expliqué, car cela touche au statut de Mayotte, juge Abdou Dahalani, d’ailleurs cette évolution nécessaire du mode de scrutin et du nombre de conseillers pour passer aux compétences d’une région aurait pu être intégrée à la loi 3DS*, on n’en parlerait plus. » L’évolution en scrutin de listes comme toute les régions de France ne pourrait-il pas relever d’une simple décision ? En tout cas, donner aux deux projets de loi des timings différenciés aurait sans doute permis d’éviter cet échec.
De la même manière, les élus du département auraient pu émettre un avis réservé, ce qui aurait permis au projet de loi sur le développement de Mayotte de poursuivre son chemin, avec modifications.
Si nous savons compter, sur 85 propositions, 20 sont inhérentes aux projets de loi, en suspens après l’avis défavorable du CD, donc 65 sont applicables immédiatement en cas d’ajournement du texte par le gouvernement. Dont “la convergence de nombreuses prestations sociales qui fera l’objet de décrets dans les prochains mois”, mesure 25.
Anne Perzo-Lafond
* Pour différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification, adoptée par les députés le 4 janvier 2022, mais soumise à une commission mixte paritaire, Sénat et Assemblée
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