A contrario de son homologue du judiciaire, le tribunal administratif est peu le théâtre de débordements verbaux. Les explications de texte se font par écrit, et les juges se prononcent après plusieurs jours de délai, après avoir entendu le rapporteur public énoncer doctement les faits, rendant un éclairage qu’ils sont susceptibles de suivre, ce qu’ils font à 90% des cas. C’est pourquoi ce mardi sort des sentiers battus.
Par la nature d’une des affaires d’abord. Des recours contre la non délivrance de titres de séjour par la préfecture de Mayotte, la juridiction en traite à la pelle, mais parce qu’une photo d’identité a été usurpée, moins. C’était le cas de N.T., qui attaque donc la préfecture. Elle n’était pas assistée d’un avocat mais de son mari, lors du jugement ce mardi. « Je trouve ça injuste ! », commençait-elle. Bien qu’ayant obtenu la naturalisation, elle ne peut obtenir sa carte d’identité parce que sa photo est plaquée… sur la pièce d’identité de sa belle-sœur habitant La Réunion. Au départ, difficile de savoir qui a floué qui, jusqu’à ce que son mari se lève et, aux côtés d’un des assesseurs, fasse le distinguo photos à l’appui, en montrant qui est qui.
Au bout de quelques échanges, la tendance s’oriente vers une bourde, une erreur d’une secrétaire, qui aurait prise l’une pour l’autre. « Pourriez-vous enlevez votre kishali ? », demandait un juge, qui parvenait alors à différencier les deux femmes.
« On nous donne des ordres ?! »
C’est la représentante de la préfecture qui jouera les agitatrices, provoquant de vives réactions au sein de ce monde feutré du tribunal administratif. « Vous avez devant vous le visage d’une usurpatrice d’identité, d’état civil ! La fraude est avérée. Je demande le rejet de la demande de la requérante pour laisser la justice pénale se prononcer. » Faisant tour à tour sortir de leurs gonds, le président de l’audience Gil Cornevaux, tout d’abord, qui menait une charge contre la représentation de l’Etat à Mayotte, « On déloge les gens et on les expulse sans les mettre en attente et on nous donne des ordres ! », puis le rapporteur public, qui ne doit théoriquement s’adresser qu’aux juges, mais qui lançait à l’intention de la conseillère de la préfecture, « vous hurlez à la fraude, mais de la part de qui ?! »
Un silence s’ensuit. Enfin, de ce que la rue peut lui épargner, car la salle est toujours aussi contrainte, qui n’a pas évoluée depuis son inauguration en 1996… Même un passant sur le trottoir fait bénéficier la salle de sa conversation !
La représentante de la préfecture met donc un bémol à ses envolées, surtout quand le mari de N.T. se lève pour informer toujours calmement les juges, que le procureur de La Réunion a examiné l’affaire, « et il a classé sans suite ». Un couple sans avocat, mais qui jonglait avec les termes juridiques et ont su faire douter la cour.
Après concertation, le président d’audience face à une situation « où toutes les personnes en présence ont la nationalité française », demande des identifications supplémentaires, « pour trancher si il y a eu erreur ou intention de frauder, car sinon le logiciel de reconnaissance faciale de délivrance des pièces d’identité va continuer à bloquer la situation. Mais apparemment, aucune instruction n’a été ouverte à ce sujet à La Réunion. »
Car en attendant, et faute de papier d’identité, N.T. n’a pas pu quitter le territoire pour assister son père mourant, ni se rendre à son enterrement. Allant jusqu’à demander un titre de séjour… ce qui lui était refusé puisque de nationalité française.
« Voilà un dossier qui sort de l’ordinaire et qui va nous occuper un moment », concluait Gil Cornevaux.
A.P-L.
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