Pas moins de 10 infractions sont reprochées au maire de Chirongui, Saïd Andhanouni. Ce mardi, le tribunal de Mamoudzou a eu fort à faire pour décortiquer une à une les affaires s’étalant sur moins d’un an de mandat, face à un prévenu qui s’est borné à renvoyer les fautes sur son DGA, pas poursuivi par la justice, et l’ancienne première magistrate de la commune. Le procès a pourtant failli ne pas avoir lieu, en raison d’une demande de renvoi de presque tous les avocats, à commencer par celui de l’association ANTICOR, partie civile dans le dossier, mais coincé à Paris.
En premier lieu, il y a ces deux voyages, dont le coût pour le contribuable a été plus facile à déterminer que la finalité des déplacements.
Le premier a conduit le maire et une partie de son équipe à Issoudun, près de Châteauroux. Sur place se déroulait un congrès des directeurs de services sociaux. Un seul maire y était : celui de Chirongui. Durée du voyage : 12 jours. Durée du congrès : 2,5 jours. Temps passé au congrès, moins d’un jour. De quoi soulever des soupçons. Le maire explique qu’il a “profité” du déplacement pour se rendre à Paris aux ministères de l’Intérieur et des Outre-mers “pour déposer un dossier”. Mais au delà d’une finalité suspecte, c’est bien l’usage de l’argent public qui pose question. En effet les billets d’avions ont été payés par la Ville, mais aussi remboursés aux voyageurs en note de frais. Le contribuable les a donc payés deux fois. Mieux, l’hôtel Ibis de Châteauroux qui accueillait les 6 participants a émis une note de 3600€ pour chacun d’eux. Ladite note leur a été remboursée, mais l’hôtel lui, n’a jamais été payé, et s’est plaint de “filouterie” auprès de la commune.
Le second s’est déroulé à Nosy-Be puis Majunga. Budget, 25 000€. Officiellement, il s’agissait pour le conseil municipal qui avait validé le voyage de conduire des “échanges culturels” pour “se rapprocher des autres peuples”. Sur place, “nous passions nos journées à discuter et profiter de l’hôtel, certains en ont profité pour avoir des relations sexuelles tarifées avec des filles” a témoigné un des participants qui qualifie de “principale finalité” du voyage la notion de “tourisme sexuel”. Le maire lui se défend de toute intention non professionnelle. Il dit y avoir rencontré “la princesse sakalava Amina”. “C’était un voyage politique. On a profité que notre DGS est marié à une femme ministre de l’Education, c’est pourquoi je voulais qu’il nous accompagne, pour faciliter nos relations avec le ministère. On a rencontré le 3e adjoint au maire de Majunga, et plusieurs personnalités culturelles sakalaves” ainsi que “la femme qui représente, voilà, qui est, comment dirais-je, au niveau des douanes”.
Incompréhension de la présidente d’audience, Chantal Combo. “Vous n’avez pas de rendez-vous avec le maire mais vous en avez avec la princesse et le comité des douanes ?” Et d’enfoncer le clou “Vous évoquez la ministre de l’enseignement, vous ne connaissez pas son nom, la présidente d’associations, dont vous ne connaissez pas le nom… vous êtes partis deux semaines et demi, est ce qu’il y a des réunions de travail qui justifient que la mairie débourse 12 000€ ? s’interroge la juge, notant par ailleurs que “L’adjointe en charge de la culture n’a pas été conviée ni le responsable des activités culturelles” et que l’agenda du maire brille par ses pages blanches lors de ce voyage qui coïncide avec les fêtes de fin d’année 2020-2021.
Autre infraction présumée, le recrutement de proches du maire, dès son élection. D’abord sa fille, vendeuse de vêtements et titulaire d’un BTS de commerce, embauchée comme assistante de direction du cabinet du maire. Lequel s’est dit incapable de donner sa date de naissance. “Je ne connais la date de naissance que d’un seul de mes enfants, j’ai eu beaucoup d’enfants” a-t-il indiqué, suscitant l’ironie de la présidente.
Puis il y a un ancien chauffeur de la vice-rectrice à la retraite, recruté à 67 ans comme chargé de la sécurité du maire. Participant au voyage à Madagascar, il aurait déclaré ne pas être sorti de sa chambre par peur de l’insécurité à Majunga. Il y a aussi la sœur du maire, femme de ménage titulaire d’un CAP hôtellerie, recrutée comme ATSEM dans une école maternelle.
Un des plus gros volets porte sur des locations de véhicules destinées aux agents. Au lieu de contacter des agences de location, le maire a fait appel à des amis, qui se sont chargés de louer des voiture au prix du marché, pour les sous-louer jusqu’à 50% plus cher à la municipalité. Préjudice, plusieurs dizaines de milliers d’euros.
Le maire lui, assure n’avoir pas signé ces contrats de location, assurant avoir refusé tout devis supérieur à 25€ par jour. Il en a pourtant signé qui allaient jusqu’à 45€ par jour. “Excessif” pour des baux d’un an selon le parquet.
Des soupçons renforcés par le fait que les deux agences semblent avoir adapté leur activité à l’élection de M. Andhounani, avec notamment la création de comptes bancaires dédiés juste après les municipales.
Factures “fictives”
Le fond de la pile touche aux sommes les plus importantes : pas moins de 102 000€ de dépenses auprès d’un magasin d’alimentation et de petit équipement, devenu sous l’actuelle municipalité le principal fournisseur de la commune avec 98% des dépenses alimentaires lors des manifestations. Au total, 16 000 litres d’eau livrés, et des factures allant jusqu’à 30 000€… sans justificatif. “Sur ces factures il est écrit n’importe quoi” sabre la présidente qui les qualifie de “fictives”. L’entrepreneur reconnaît avoir arrondi “à la louche” les diverses lignes budgétaires. “Difficile de savoir si vous n’avez pas compté 20 000 au lieu de 12 000 dans ces conditions” soupire la présidente. Dans ce volet, la principale infraction n’est donc pas tant une possible surfacturation, mais le fractionnement des factures. Car si le total atteint bien 102 000€, soit un montant nécessitant un appel d’offre, celui-ci est divisé en 6 factures distinctes, toujours inférieures au seuil légal de 40 000€.
“Il y a deux raisons d’étudier la loi, pour la respecter, ou pour la contourner” a encore soupiré la juge.
Du côté de la défense, Me Idriss a lui dénoncé un procès “pas équitable” en raison de l’absence du DGA, cible des attaques du maire et qu’il aurait aimé voir cité.
En tout, 13 prévenus étaient convoqués à la barre. Seuls 4 se sont présentés, dont le maire comme principal auteur présumé des infractions, tous les autres prévenus étant jugés pour recel.
Le procureur Yann le Bris a requis 3 ans de prison dont 2 avec sursis contre le maire, qui encoure également 30 000€ d’amende, et 10 ans d’inéligibilité, que le préfet pourrait appliquer dès la décision rendue. Des peines de prison avec sursis et d’amende ont également été demandées pour les autres. Le tribunal s’est donné une semaine pour délibérer sur les faits, et rendra son jugement mardi prochain.
Y.D.
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