C’est un petit point de plus gagné par les Comores dans le classement 2021 de Reporters Sans Frontières (RSF) qui n’a pas pour autant fourni de nouveaux détails sur ce petit bond en avant. L’ONG estime que le pays est toujours dominé par la culture de l’autocensure. “Alors que la liberté de la presse est garantie par la Constitution de 2001, révisée en 2018, l’autocensure reste répandue chez les journalistes comoriens, en raison de lourdes peines punissant la diffamation”, écrit-il.
Une presse toujours balbutiante
Les Comores avaient pourtant été mieux notées ces six dernières années, devenant ainsi cinquième en Afrique et en tête des pays arabes qui respectent au mieux la liberté d’expression. Mais les “intimidations, agressions, arrestations, menaces, censure” de ces dernières années ont fait perdre des points au pays entre 2018 et 2019 avec “une recrudescence importante et inhabituelle des atteintes à la liberté de la presse”, d’après RSF. “Face à la multiplication des arrestations de journalistes et de bloggeurs ces dernières années, le Syndicat national des journalistes aux Comores a dénoncé la systématisation de ‘la nuit à la brigade’”, ajoute l’ONG.
A l’occasion de la célébration, mardi 4 mai, de la journée internationale de la liberté de la presse, le Syndicat national des journalistes aux Comores (SNJC) s’est mobilisé à la Place de l’indépendance à Moroni. Près d’une cinquantaine de journalistes avait répondu présents. La nouvelle présidente du SNJC, Faïza Soulé Youssouf, ancienne rédactrice du journal Al-watwan et correspondante de Mayotte la 1ere, est justement revenue sur le climat général dans le pays et a appelé à “une meilleure protection des journalistes”, précisant que le chemin reste encore long pour une presse libre et débarrassée de toute forme de censure. “Le climat aux Comores est particulièrement délétère pour les journalistes. Il y a beaucoup de censure, pire il y a beaucoup d’autocensure. Les licenciements de journalistes ne respectent aucune procédure”, dit-elle
Le grand défi de la presse aux Comores reste aujourd’hui la formation des journalistes. Les dérives sont accessoirement liées au manque criant de formation des hommes des medias et la diffusion à outrance de contenus non vérifiés. Une récente étude, pilotée par Actions medias Francophones (AMF) fait état de “sept journalistes sur dix” qui n’ont pas les armes nécessaires pour informer avec objectivité faute de connaissances de bases. Le Syndicat des journalistes veut faire de la formation “une priorité” pour mieux professionnaliser les gens des medias et moraliser les contenus.
La formation des journalistes et la régulation des réseaux sociaux
“Nous réfléchissons au format qui servira de cadre pour que tous les journalistes, les administrateurs puissent être formés pour une information qui sera juste, vérifiée et qui répondra aux exigences de la profession. C’est l’une des urgences, il me semble de la profession”, a souligné Faïza Soulé Youssouf. “Les Comoriens sont avides d’information et suivent ces médias-là. Aussi, dès à présent, nous nous devons de faire en sorte d’être irréprochables dans le traitement de l’information”, a-t-elle ajouté devant ses confrères.
Le deuxième défi est la régulation des réseaux sociaux qui polluent le métier, déstructurant le débat public et réduisant la qualité de l’information. Le thème retenu cette année “le journalisme sous l’emprise du numérique” interpelle les milieux de la profession. Des plateformes numériques devenues de producteurs de contenus ne respectant pas les principes de base de la profession ou qui deviennent de simples relais de publications diffamatoires ou attentatoires à la vie privée. “Nous sommes tous témoins de la multiplication ces dernières années de médias en ligne, qui ne diffusent généralement que des Live Facebook et des vidéos reprises sur d’autres supports”, a déploré la présidente du SNJC, demandant une réflexion poussée sur ce phénomène et des mesures concrètes et immédiates de renforcement de la politique de régulation.
L’autre défi de la presse reste le modèle économique des medias aux Comores. Les investissements dans la presse sont limités dans les medias publics. Les fonds se limitent sur le paiement des salaires et des charges de fonctionnement. Aucun plan de formation ni politique d’autonomisation réelle des contenus éditoriaux. Les recettes publicitaires se tarissent au fil des années, exposant les medias privés notamment à des grosses difficultés financières. “Les médias peinent à être rentables, ce qui fragilise leur indépendance”, note Reporters Sans Frontières dans son rapport sur les Comores.
Des réformes lentes de la profession
Les grandes réformes de la profession de journaliste dans l’archipel demeurent lentes malgré les ambitieuses bases jetées depuis 1994 à l’occasion des premiers Etats généraux de la presse. En 2009 (comme en 2007 d’ailleurs), des assises de la presse avaient réitéré la mise en place d’un Fonds d’appui aux medias privés notamment, soit sous forme d’aides directes, ou de subventions indirectes. Il a fallu attendre que cela soit officiellement intégré dans la loi N° 21-011/AU du 8 juin 2021, portant nouveau code de l’information. Le texte, promulgué le 18 janvier dernier précise dans l’article 56, que “l’Etat accorde une aide aux medias privés dans le but de promouvoir le pluralisme, la diversité et l’équilibré de l’information”. Reste maintenant à mettre en place les structures de suivi pour l’élaboration des arrêtés d’application de la loi.
Le premier organe de régulation, le Conseil national de la presse et de l’audiovisuel (CNPA), a été mis en place en 2010. Cette structure était censée être installée en 1994 après l’adoption du premier code de l’information du pays. Mais l’instabilité politique et les crises institutionnelles en cascade ont retardé sa création. Aujourd’hui, cette instance dirigée par des grands professionnels, est encore dépourvue de ressources humaines suffisantes et d’un budget conséquent pour jouer véritablement son rôle de régulateur.
Les premières cartes de presse des journalistes ont été délivrées en juillet 2018 avant d’être suspendues en 2019 faute de moyens pour faire fonctionner le comité d’attribution. Un observatoire de la déontologie a été créé et mis en place en 2021 avec l’appui d’Actions Medias Francophones (AMF) et l’expertise de Pierre Ganz, journaliste et vice-président de l’Observatoire de la déontologie de l’information en France. L’observatoire est dirigé par Ali Moindjié, ancien directeur de la publication du journal Al-watwan (1996), ancien correspondant de l’AFP et membre du CNPA.
A.S.Kemba, Moroni
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