Trois années de rentrées scolaires synonymes de fébrilité. L’incertitude pesant sur le marché des transports scolaires en était la cause.
En février 2015, ce marché tel que défini par le conseil départemental, sous pression du tribunal administratif qui le contraint à allotir, est attribué à plusieurs transporteurs, dont le groupement GMES Ouvoimoja. La société Matis (filiale du groupe réunionnais Mooland) en est le mandataire, est des transporteurs mahorais (Transports du Nord, Chamassi Ben Abdallah, Chebane, Chadhuli et Salime) les adhérents.
Trois ans après, lors de la passation d’un nouveau marché, qui avoisine les 30 millions d’euros par an, le conseil départemental sépare le lot « gestion », des autres. L’inquiétude est forte chez Matis qui jouait jusqu’alors sur les deux tableau, transport et gestion. Ses salariés descendent dans la rue, et la date de rentrée d’août approchant, le conseil départemental décide de prolonger le marché par un avenant.
Entretemps, le torchon a continué à brûler entre les transporteurs et Matis, les premiers reprochant au second de ne leur reverser qu’une petite partie de la rémunération qui leur est due, comme expliquait à la presse leur conseil Mahamoud Azihary en 2018, « Matis conservait les compensations des charges indirectes et les marges. Ils n’auront perçu que 10,7% des rémunérations totales ». La méfiance se change en exaspération quand un 2ème avenant est pris en 2019, le tribunal administratif ayant cassé le nouveau marché en juillet 2019… soit un mois avant la rentrée scolaire. Et alors, que dire de la rentrée 2020, en pleine crise Covid, lorsqu’un 3ème avenant s’annonce, mais n’est plus autorisé par le code des marchés publics ! IL faut prendre une décision dans l’urgence.
Des avenants sans avenir
Les transporteurs continuent à crier au contrat léonin et à la perte de recettes et envoient en juin 2020 un courrier à Matis expliquant leur refus d’une 3ème prolongation de contrat, transmis par huissier, et doublent avec une même démarche auprès du CD. Qui tranche : ce ne sera pas un énième avenant, mais une Convention de Gestion Provisoire, à travers laquelle les mêmes titulaires gèrent les mêmes lots mais voient une réévaluation des coûts et de leur matériel roulant. Une convention que signe Matis sans en informer les transporteurs. Qui déposent plainte.
A la barre, leur avocat maitre Jorion, fait valoir l’article 6 du groupement, « le mandataire ne peut signer un accord sans en avertir l’ensemble du groupement ». Or, pour lui, cette Convention de Gestion Provisoire est bien un nouvel accord et non une prolongation du marché précédent. D’autre part, il invoque un autre article, le 13, qui prévoit la fin du groupement lorsque le marché est échu. « Donc en 2020 ». Et chiffre le préjudice subi en fonction des marchés que les transporteurs auraient perdus s’il y avait eu un nouvel appel d’offre, et qu’ils ont d’ailleurs remporté pour leur propre compte lors du nouvel appel d’offre de 2021, qui sépare définitivement la gestion des autres lots… Les sommes demandées vont de 412.000 euros à 1,2 million d’euros. L’avocat pointe aussi un faux et usage de faux contre Matis et le CD, « ils savaient tous les deux que les transporteurs avaient dénoncé l’accord ».
Le conseil départemental victime d’une balle perdue ?
L’implication du conseil départemental est sujet à caution, défend son conseil, Me Mickaël Poilpré, du barreau de Montpellier : « Si nous constatons que matis et les transporteurs s’écharpent en permanence, nous avons l’impression qu’une balle perdue vient nous impacter ! Les faits qualifiés pénalement relèvent en réalité du civil, là, au pire, c’est un faux intellectuel qu’on nous reproche dans cette signature d’une convention avec Matis qui était mandataire à l’époque. » Pour lui, le groupement existe toujours, « et il fallait bien faire quelque chose pour que le transport scolaire fonctionne à la rentrée ». L’avocat demandera 15.000 euros de dommage et intérêts, « on ternit l’image du conseil départemental, quand on saisit une juridiction, on doit avoir des éléments pour le faire ».
Sans surprise, le conseil de Matis, Me Olivier Guérin-Garnier, barreau de Paris, voit également dans la Convention de Gestion Provisoire une « reproduction à l’identique du marché avec simplement une réévaluation de l’inflation et des coûts », sous-entendu, le GMES Ouvoimoja existait toujours avec Matis comme mandataire. Quant au fait que Matis ait signé sans en informer les transporteurs, ce qu’interdit l’article 3, « les transporteurs aussi voulaient en profiter pour signer avec le conseil départemental une convention de gestion, ce qui aurait été un délit de favoritisme ».
Parallèlement à tout ça, un nouveau marché est actuellement en vigueur, après que la société Matis ait tenté https://migration.lejournaldemayotte.com/2020/08/26/transport-scolaire-le-tribunal-administratif-deboute-matis-et-laisse-le-departement-trancher/ de le casser, avec une promesse que le conseil départemental a faite, « nous devons sécuriser juridiquement ce secteur ».
Quant à l’injustice financière que dénoncent les transporteurs lors de leur parrainage par Matis, il semble qu’ils soient passés à autre chose.
A la barre, et après que les robes noires aient défendu le point de vue de leur client, le débat est donc centré sur l’impact de Convention de Gestion Provisoire : en 2020, le marché a-t-il été prorogé ou partiellement réécrit ? Réponse lors du délibéré le 15 novembre 2022.
Anne Perzo-Lafond
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