Entre chant du coq et cacardement des oies, on était loin de parler chiffons ou shopping ce mercredi. Enfin si, on a discuté de marques… mais de tracteurs ! Pour découvrir la réalité quotidienne de la femme agricultrice, qui de mieux que Corinne-Irène Avice, une des plus grosses exploitations de l’île avec ses 32 ha à Dembéni.
Première particularité, première difficulté, son élevage varie du simple au triple en fonction des saisons : « Actuellement, j’ai 15 bêtes, car nous n’arrivons pas à nous fournir en fourrage à Mayotte, la Coopadem n’arrive pas à nous approvisionner en luzerne. Dès que je peux à nouveau nourrir mes bêtes, l’exploitation grimpe à 50 bêtes. » C’est chaque année le même yoyo. Ce sont des Montbéliardes croisées, mais l’agricultrice possède aussi un solide élevage de caprins, et d’ovins. Les bananes fourragères servent uniquement à nourrir les bêtes, « surtout à les hydrater », car il s’agit de vaches laitières.
Corinne Avice a le développement chevillé au corps, « mais je n’ai jamais demandé un euro de subvention, ni de fonds européens, c’est trop compliqué ! ». Pour entrainer les jeunes du lycée dans son sillage, elle envisage de construire un internat. « Sinon, ils ne viennent que le matin à 7h, c’est à dire après la traite des vaches. Ils ne peuvent pas se rendre compte de ce qu’est la vie d’une exploitation. » Elle a le terrain pour. Mais quelque chose achoppe, le préfet interpelle autour de lui. Pour l’internat, ce sont « les conditions d’hébergement qui sont dépendantes de normes », glisse Christophe Bretagne, proviseur du lycée de Coconi qui envoie ses Bac Pro. Une réponse que nuance Jean-François Colombet, « en métropole, parfois, les conditions ne sont pas terribles, mais l’important c’est la formation. » Le gîte pourrait être la version adaptée au contexte.
« Si j’avais un abattoir… », une chanson vieille de plus de dix ans
L’équipement qui lui permettrait à elle de passer à la vitesse supérieure, et au territoire de viser l’autoconsommation, on le connaît, « si j’avais un abattoir, je pourrais y envoyer 50 moutons par semaine », un chiffre qui semble surprendre les professionnels présents, notamment de la DAAF. « On ne sait pas trop s’il sera dimensionné pour les petits ruminants », glisse-t-il. Cela fait au moins 10 ans que Mayotte attend son abattoir, annoncé désormais pour 2022. Nous nous enquerrons sur les raisons de ce retard, qui repousse encore les capacités d’approvisionnement des cantines scolaires, « il faut penser auparavant la zone d’aménagement de Chirongui, trouver les financements, et travailler avec les acteurs locaux, notamment sur l’identification des ruminants. » Un « bouclage » des oreilles des bêtes avait pourtant été effectué il y a trois ans, « mais il y a eu des dysfonctionnements, nous l’avons repris », précise Bastien Chalagiraud, Chef de service économique et agricole à la DAAF.
Cette arlésienne d’abattoir n’en finit plus de plomber l’avenir du secteur agricole. En 2015 déjà, le président du Département Daniel Zaïdani, avait été pris à partie par les jeunes agriculteurs, furieux de ne pas posséder cet équipement sur le territoire. L’année d’après, en 2016, le déficit d’abattoir est ciblé comme étant un des handicaps majeurs de la filière bovins, caprins, ovins. Il semble que l’idée de l’abattoir mobile ait été abandonnée, « se posait le problème du traitement des triperies. » Un abattoir victime d’un manque de volonté politique.
Un terrain d’entente contre le vol
Lors du déjeuner, Jean-François Colombet était bien entouré, et si des sujets d’importance ont été abordés, sur un mode différent que ne l’auraient fait leurs homologues masculins, des solutions ont pu être envisagées.
Pour Fatima Daoud, Jeune agricultrice en maraîchage, agriculture vivrière, agroforesterie, élevage de bovins, le problème numéro Un, c’est l’accès à son exploitation. Depuis 2009 et sa première demande de piste au conseil départemental, elle doit faire à pied 2,48 km (elle a eu le temps de les compter !), aller, et pareil au retour, « heureusement, l’agriculture, c’est ma passion ! » C’est son père, distillateur d’ylang, qui le lui a transmis, « il faisait de l’huile essentielle, mais je n’ai pas pu reprendre, je ne trouve pas de main d’œuvre pour la cueillette. Et pourtant, on vivait de ça. Des japonais passaient souvent à Mayotte pour acheter. »
Outre l’approvisionnement en eau, « le Syndicat des eaux avait 4 millions d’euros pour irriguer, il ne l’a pas fait », appuie le préfet, l’autre handicap majeur, c’est le vol. Et le drame qui a failli se jouer à Vahibé est sur toutes les lèvres. Corine Avice raconte devoir régulièrement laisser des personnes planter leurs tomates, « sinon, ils me disent qu’ils vont tuer mes bêtes. Je préfère trouver un terrain d’entente. Et comme le soir ils savent qu’il n’y a pas de ronde de la PAF, ils cultivent tard dans la journée. »
Le paradoxe, c’est que tous les dimanches, ces femmes agricultrices voient sur les marchés, des revendeurs présenter leurs propres productions dérobées. Elles évoquent l’idée d’une traçabilité. Normalement, la vente des produits agricoles en France est réglementée, « mais ici, on ne le fait pas », explique la DAAF. Elles rapportent l’expérience de Tsingoni : « Le maire a publié un arrêté interdisant les ventes sur le bord des routes. Elles ne se font que sur les marchés officiels. » La sanction de la vente ambulante relevant de l’Etat, le préfet retenait cette idée et décidait de réunir producteurs, distributeurs, élus, services de l’Etat, pour mettre en place un ordre de bataille, « et pourquoi pas au cours d’Assises de l’Agriculture ».
Anne Perzo-Lafond
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