La fréquence bisannuelle des crises sociales incite les analystes à balancer une année sur deux entre « espoirs déçus » et « économie résiliente ». Pensez-vous que les rattrapages économiques soient assez rapides et assez puissants pour apaiser les attentes ?
Marie-Anne Poussin-Delmas : « Notre Indicateur du Climat des Affaires pris auprès des grandes entreprises de la place est au-dessus de sa tendance de long terme, c’est bon signe. Son redressement rapide après la crise de 2018 est lié aux mesures d’urgence qui ont suivi. On peut dégager trois facteurs favorables. Pour les acteurs de la sphère privée, le contrat de convergence de 1,6 milliard d’euros, le plus important des DOM, montre une vraie volonté de l’Etat d’engranger ce rattrapage économique, ils y sont sensibles. Ensuite, perdurent des mesures d’attractivité fiscales propres au territoire, comme les exonérations de charges sociales. Et enfin, la visibilité du territoire grâce au gros travail de l’ADIM* pour le faire connaître aux investisseurs étrangers. Cela entre dans la stratégie « Choose France » du président Macron pour attirer les investisseurs étrangers, notamment en faisant évoluer une législation sociale trop protectrice.
A côté de ces éléments positifs, il reste la fragilité du climat social, la rémanence des crises liée à une départementalisation qui a déçu, car pas assez rapide. Mais il est impossible de mener une politique de rattrapage social d’un claquement de doigts. Demeure donc une épée de Damoclès qui inquiète. »
Comment attirer les investisseurs dans ce contexte ?
Marie-Anne Poussin-Delmas : « Il y a un énorme potentiel, la demande explose. Or, vous avez le plus fort taux de chômage des DOM, de 35% sans compter le halo. Ce n’est pas l’emploi public qui va inverser la courbe du chômage, l’hôpital, l’éducation nationale ne font que soutenir l’emploi, et donc la consommation. La seule solution est d’inciter à la création d’entreprise et à la venue d’investisseurs. Il faut d’un côté développer les infrastructures de transports, d’eau et d’assainissement qui sont la base, et rassurer quant à l’émergence d’une crise sociale. Il faut sans doute trouver un autre moyen d’exprimer ses attentes qu’en bloquant l’île. »
Vous aviez évoqué avec nous il y a deux ans le nécessaire développement du secteur privé. Il passera par celui des Très Petites Entreprises (TPE) et des Petites et Moyennes Entreprises (PME) qui constituent à 90% le tissu économique de Mayotte, et dont certaines ne s’en sortent pas si mal selon la dernière note de l’INSEE…
Marie-Anne Poussin-Delmas : « Les TPE ont un poids important dans l’emploi, environ 20% du total en France, et dégagent 20% de la valeur ajoutée. Des chiffres plus important en Outre-mer. Si nous voulons gagner la bataille de l’emploi, il faut donc gagner la bataille des TPE. C’est pourquoi l’IEDOM a installé dans chacune de ses agences en 2017 un correspondant TPE. Ses petits entrepreneurs sont le plus souvent noyés par les problèmes de portage financier, ou d’obligation déclarative, c’est une perte de temps pour eux. Mais surtout, ils sont nombreux à se satisfaire de vivre de leur projet, parfois même en restant dans l’informel, et sans avoir comme ambition de recruter. Le fait de leur dire qu’ils seront demain des chefs d’entreprise peut être lourd à assumer. Nous avons donc une correspondante qui est là pour nouer des partenariats avec des organismes de financement, des réseaux d’accompagnement comme l’ADIE, des experts comptables, etc. Nous avons d’ailleurs signé un partenariat avec l’ADIM. »
Vous avez dressé un premier bilan de cet accompagnement ?
Marie-Anne Poussin-Delmas : « Pas encore un bilan, car les choses doivent se mettre en place, mais un état des lieux des entreprises aidées. Elles ont été 42 en 2019, avec une majorité dans les secteurs des services aux particuliers, et des services aux entreprises. Le commerce vient en 3ème position. Le 1er besoin exprimé par les dirigeants à Mayotte, porte sur le financement, 44%, suivi du soutien dans le développement de leur entreprise, 28%, et du traitement des difficultés financières, 15%. Nous les avons essentiellement orientés vers le microcrédit, la CCI et les banques. »
Avant de conclure, la présidente de l’IEDOM évoquait l’inquiétude des Martiniquais face au départ de leurs étudiants. Un phénomène qui touche aussi Mayotte, dont la pyramide des âges subit une césure sur les tranches des 20-30 ans, traduisant un départ des étudiants qui deviennent de jeunes cadres mahorais en métropole ou à La Réunion. La Maison de Mayotte à Paris a d’ailleurs dernièrement provoqué une rencontre. « Il faut les inciter à revenir. D’une part, il faudrait que le vice-rectorat maintienne les contacts avec les élèves notamment en réussite en métropole, et ensuite, regarder de plus prés les Forums de l’emploi Outre-mer où les entreprises et les banques de métropole proposent des emplois outre-mer. »
Propos recueillis par Anne Perzo-Lafond
* L’Agence de Développement et d’Innovation de Mayotte du conseil Départemental
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