Depuis plusieurs semaines, des actes de délinquance d’une violence extrême secouent Mayotte. Le phénomène n’est pas nouveau loin de là. Ce qui est préoccupant, c’est son organisation : les jeunes sont en bande (gang) pour commettre des délits. La caractéristique de cette délinquance est aussi sa juvénilité. Les autorités parlent de jeunes âgés entre 11 et 12 ans. Qui est responsable de cette situation qui plonge une île déjà souffrante dans l’agonie? L’Etat, les élus, les parents: chacun a sa part de responsabilité. Nous avons laissé les choses pourrir en refusant d’affronter la réalité. Ces jeunes sont nés ici ou ailleurs de parents français ou d’autres nationalités. Toujours est-il qu’ils sont appelés à vivre à Mayotte et avec nous et durant longtemps. Pour beaucoup d’entre eux, l’ascenseur social s’est arrêté dès la naissance. La misère n’a pas de nationalité. Ils ne sont pas bien nés. Leurs parents sont sans emploi et vivent sous le seuil de pauvreté. Nés ici, ils ne peuvent pas être expulsés avec leurs parents mais ils ne sont pas non plus français. Les parents ne sont pas non plus intégrables.
Lorsqu’ils sont nés là-bas, à leur tendre âge, ils auront déjà vécu une société sans école, sans eau courante, sans électricité, sans Smartphone, sans hôpital. Ils arrivent à Mayotte dans des conditions rocambolesques. Sur la plage de MTSOUMBATSOU ou une plage du sud de Mayotte, ils doivent à coté de leurs parents jongler entre l’obscurité, les obstacles divers et variés, et la peur des forces de l’ordre. Ils finissent cette course folle dans une case en tôle sans eau courante, sans électricité sur les hauteurs de KOUNGOU ou de KAWENI mais pas seulement. Le dépaysement est total, le choc aussi. Ils ne connaitront jamais peut-être cet eldorado illusoire qui s’appelle MAYOTTE. Les mineurs plus chanceux finiront dans des familles d’accueil. Majoritairement, ils connaitront l’école tard cumulant plusieurs handicaps et des échecs massifs.
Notre école n’est pas préparée pour accueillir ce public. Il est trop éloigné de nos standards politiquement entretenus. La société mahoraise n’est pas non plus préparée à l’intégration et à l’inclusion de ce public, accusé à tort de tous les maux de notre société. Mais le manque de solution d’intégration et d’inclusion pour cette catégorie de public a pour conséquence : l’absence de solutions pour les nôtres, les petits français de Mayotte et les autres qui constituent un immense vivier en perspective de ressource humaine et de mains d’œuvre. Une précision de taille, tous les mahorais ne sont pas riches, ils n’ont pas de grandes maisons encore moins de belles voitures. Beaucoup de jeunes français de Mayotte sont sans repères. L’ascenseur social s’est aussi arrêté dès la naissance. Leurs parents sont sans emploi et vivent aussi de petits boulots. La misère des uns ne doit pas cacher la nôtre.
« La confiance est rompue »
En dépit de la mobilisation des forces de l’ordre et le déploiement des moyens financiers colossaux, la situation s’aggrave. L’immense majorité de la population ne croit plus. La confiance est rompue. Le Mahorais aspire à vivre en paix et en sécurité, deux fondamentaux qu’il convient de rappeler aussi. Le président de la république l’a rappelé lors de son passage dans ces termes « la France, c’est la sécurité ». Mais on est amené à s’interroger. De quelle France s’agit-il et pour quelle sécurité? Celle de TREVANI ou d’ailleurs, où des individus caillassent les bus de transport scolaire empêchant les élèves de se rendre à l’école de la République ? Celle qui agresse violemment un jeune gendarme mobile qui ne faisait que son travail pour faire respecter la libre circulation des personnes ? Ou celle de DEMBENI ou TSARARANOU qui agresse un candidat à l’élection municipale, l’empêchant ainsi de participer au débat démocratique ? Cette délinquance interpelle car elle cible trois des fondamentaux d’une société libre : l’éducation, la libre circulation et la démocratie. Est-ce une simple coïncidence ?
Les élus sont silencieux face à ces événements, ce n’est pas une tendance nouvelle. Ici, tout est politisé et les élus s’écrasent. Prendre position ou donner son avis viendrait à froisser le représentant du Gouvernement. Et au final, parler pour dire quoi et à qui ? Ils sont inaudibles à force d’attendre de solutions venant du préfet et de France. Ils cherchent la grâce du préfet.
En Outre-mer en général et singulièrement à Mayotte, les crises sont prévisibles tant les insuffisances sont nombreuses. L’Etat et les gouvernements accusent un retard dans l’appréciation des situations très souvent les plus élémentaires. Les diagnostics sont faits en général par d’autres que par les intéressés, par d’autres que par les autochtones, par d’autres que par les communautés de destin vivant sur ces territoires. Le recours systématique à une expertise exogène fausse l’exposition des vrais enjeux. On transpose des modèles venus d’ailleurs avec l’assurance d’un impact quasi nul sur le règlement des problèmes.
« Repenser notre société »
L’évolution institutionnelle de Mayotte a eu raison de l’autorité cadiale. Celui-ci a été remplacé dans notre conscience collective par le juge. Il y a longtemps aussi que les institutions traditionnelles ont été démantelées et remplacées par des structures importées d’ailleurs: garderie, crèche, école maternelle ainsi de suite. A 10 ans, un enfant aura passé plus de temps dans les institutions qu’avec ses parents. C’est dans l’ordre de la normalité me dira-t-on. Les parents travaillent. On oublie aussi que ces institutions n’éduquent pas forcément. Notre système scolaire accuse d’énormes retards au regard des standards français de référence. Les syndicats nous le rappellent régulièrement. Nous faisons fi de ces revendications parce nous refusons de voir la réalité en face. Et pourtant le système est sous pression et ne joue plus son rôle originel.
Pour rappel, le contrat de convergence prévoit plus d’un milliard et demi d’euros d’investissement. Les élus sont contents. L’effet placebo aura fonctionné le temps de construire les établissements scolaires parce qu’ici la scolarisation est faite de manière industrielle. On se soucie moyennement de la qualité. Entre temps, la délinquance grandit et menace même notre mode de vie. La maladie n’aura pas été soignée. L’île agonise pour peu qu’on veut se rendre à l’évidence mais l’agonie ne date pas d’aujourd’hui. C’est un processus long et soigneusement entretenu et dont les responsabilités sont partagées.
Pour espérer retrouver un semblant d’équilibre, il faudra repenser notre société, son évolution dans une sous-région agitée. Les effets d’annonces vont être nombreux et les commissions se formeront. Mayotte va devoir rebattre les cartes. Pour mesurer l’effervescence politique d’un pays, d’un territoire, il convient d’ausculter les messages sur les réseaux sociaux ou les tags. Ses communications anonymes pour certaines, sont un excellent baromètre. À Mayotte, depuis quelques semaines, une forte fièvre s’est emparée des « mur »: « La lutte contre l’insécurité et l’immigration clandestine ».
Et chacun d’oublier qu’au delà de l’insécurité et de l’immigration, notre survie est étroitement liée à notre capacité à imaginer des outils d’éducation et formation inclusifs susceptibles de tirer notre diverse jeunesse le plus haut possible. D’autres avant nous ont fait le pari d’inscrire leur territoire dans cette dynamique car la situation économique du monde moderne l’exige. Le développement d’un territoire se mesure par la qualité de son système d’éducation, sa stratégie de formation, son système de santé, ses infrastructures, la qualité de son appareil productif et la performance de ses entreprises. Nous n’avons ni les uns ni les autres.
Issihaka ABDILLAH