Le parcours judiciaire du jeune homme laisse perplexe. Depuis 2012 il écope presque chaque année d’au moins une peine de prison ferme : violences, vols, agression sexuelle, tout y passe. Lors de sa dernière comparution en octobre dernier, son procès pour vol et violences avait été ajourné. En cause : son attitude à la barre, qui posait de sérieux doutes sur son état mental : agité, provoquant, et le tatouage “prince” qui barre son front n’aidait pas à le prendre au sérieux. Les juges ordonnaient alors une expertise psychiatrique. Bien leur en a pris.
Quatre mois plus tard, le voilà de retour au tribunal, radicalement calmé par un traitement neuroleptique prescrit en détention provisoire. Le psychiatre a confirmé un “trouble grave de la personnalité”, un “syndrome délirant” et “hallucinatoire” et des “épisodes psychotiques sévères”. Un état qui expliquerait largement les actes du jeune homme, sans pour autant que son discernement soit aboli. En clair il ne peut s’empêcher de commettre des délits, mais il est conscient que ce sont des délits et peut donc être poursuivi.
Comme ce jour de juin à Kani-Keli où il se rend chez ses voisines, fou de rage que l’eau lui ait été coupée dans son banga. Il frappe les deux dames à coups de machettes, “pas avec le côté aiguisé” assure-t-il, mais assez fort pour occasionner de profondes plaies. Un mois plus tard, on le retrouve au rond-point du manguier à Mamoudzou. Selon l’automobiliste victime ce jour-là, trois individus étaient couchés sur la route au niveau du passage-piétons. Sitôt arrêtés, deux autres, dont le tatoué, ont ouvert ses portières et volé la Peugeot 206, qui sera retrouvée gravement accidentée au sud de Mamoudzou.
Des complices que l’homme couvrira jusqu’au bout, de sa reddition spontanée au commissariat (il est depuis lors en détention), jusqu’au procès où il affirme avoir agi seul et accuse la victime de mentir.
Plusieurs mois de prison en trop
La procureure Pajak-Boulet le qualifie de “coupeur de route”, d’individu “prêt à tout, aussi bien d’atteintes aux biens qu’aux personnes”, avec une “personnalité qui interroge”. Si il y a quatre mois, son état mental était jugé incompatible avec un procès, il est, sous traitement, accessible à la prison ferme estime la magistrate du parquet. D’ailleurs, étant en récidive légale, il n’est ” plus accessible au sursis” constate-t-elle, soulignant par ailleurs “le risque de réitération plus qu’important” pointé par l’expert psychiatre. En l’absence d’autre solution pour le soigner ou l’accompagner, il ne reste pour lui comme pour d’autres avant lui, que la prison afin de “protéger la société”. Elle réclame quatre ans ferme.
Les juges ont été à peine plus cléments, en prononçant 3 années de détention, avec mandat de dépôt.
Le tout, sans avocat, ce qui a permis en pleine grève des robes noires de mener cette affaire à son terme. Un conseil professionnel se serait pourtant rué sur la question de la place de ce genre d’individu en prison, autant que sur l’énorme erreur procédurale, qui a mené ce prévenu à passer plus de temps en détention provisoire que ce que prévoit la loi.
En effet, le code de procédure pénale prévoit que “lorsque le prévenu est en détention provisoire, le jugement au fond doit être rendu dans les deux mois qui suivent le jour de sa première comparution (en l’occurrence, en juillet dernier) devant le tribunal”. “Vous avez passé plusieurs mois en détention alors que vous n’auriez pas du” l’informe la présidente Faure. Pas de quoi émouvoir le jeune homme, guère plus que l’annonce du délibéré. Sa seule demande, c’est un transfert à Domenjod, le centre pénitentiaire de La Réunion, sur lequel le tribunal ne s’est pas prononcé. Il est reparti comme il était arrivé. Silencieux, et menotté.
Y.D.